Pour une ontologie relationnelle du vivant
Introduction
- (a) la primauté des relations : les relations ne sont pas secondaires ou dérivées mais constitutives des entités elles-mêmes. Une entité est définie par ses interactions avec d’autres entités,
- (b) l'effacement des entités : elles ne sont plus des “choses-en-soi” indépendantes les unes des autres, mais sont liées entre elles,
- (c) le changement de regard : l'ontologie relationnelle transforme notre vision de la causalité, de l’identité, et de la dépendance mutuelle des choses, avec des implications pour la métaphysique, l’écologie, et les sciences humaines. Par exemple, la causalité n’est plus envisagée comme une action d’une entité sur une autre mais comme comme l’émergence d’une interaction. L’identité n’est plus celle d’un individu isolé mais le résultat d’un plongement de ce dernier dans un écoumène, comprenant son milieu social et son milieu écologique. Les choses sont dépendantes les unes des autres dans le sens où toute modification de l’une d’entre elles entraîne la modification des autres.
Argumentaire de notre propos
- Mettre l'accent sur les interdépendances entre les organismes et leur environnement et les organismes entre eux. Le vivant est vu comme un réseau de relations plutôt que comme une entité autonome. Ce réseau se déploie dans le long terme. Décentrer son regard sur les choses : démarche inverse de la phénoménologie, “que suis-je pour les choses” et non pas “que sont les choses pour moi”.
- Raconter des petites histoires sur ces interdépendances : comme l’histoire du ver de terre retourné sous la bêche du jardinier, comment caractériser cet événement, dans quel réseau d’interdépendances se situe-t-il ? On ne considère pas son utilité, mais tout d’un coup il est là, existant devant nous. Son existence dépend dès lors de notre bon vouloir, il est vie pure. Idem si je cueille une fleur, je la chosifie en la coupant.
- Changer de regard, partir des choses. Mettre les ontologies à plat autour des relations à la vie puis des objets et des êtres vivants. Casser les anthropomorphismes réducteurs et utilitaristes.
Reprenant Lovelock, David Abram avance de manière similaire : “En montrant que la vie organique et les paramètres les plus inorganiques de l’existence terrestre sont enchevêtrés, la théorie de Gaïa complique toute distinction facile entre les aspects vivants et non vivants de notre monde. En montrant que les organismes terrestres agissent collectivement sur leurs environnements au point que les océans de la planète, l’atmosphère, les sols et la géologie de surface témoignent ensemble d’un comportement plus caractéristique d’une physiologie vivante que d’un système abiotique, cette théorie de Gaïa suggère que la biosphère a au moins une espèce rudimentaire de puissance d’agir (agency). Cela suggère que comme toute entité vivante, la biosphère n’est pas simplement un objet, mais également, en un sens curieux, un sujet”.
Exploration ontologique : quelques exemples
1. la migration
- Survie et adaptation : la nécessité ontiqueAinsi cette activité migratoire fonde le migrateur à la fois dans son étant ontique et son être-au-monde ontologique.Pour les oiseaux migrateurs, la migration répond à une exigence fondamentale : la recherche de ressources et de conditions favorables à la survie. Ce mouvement est inscrit dans leur être, révélant une interaction adaptative avec les cycles naturels, comme les saisons et les ressources alimentaires. A ce titre les oiseaux sont des êtres soumis à une nécessité d’ordre existentielle : la nécessité ontique.- La migration comme mode d’existence d’être-au-mondeD’un point de vue phénoménologique et ontologique, la migration est une manière pour l’oiseau d’habiter le monde, son être-au-monde. En reliant deux lieux éloignés, l’oiseau n’appartient ni totalement à un espace ni à un autre : il est un être "entre-deux", oscillant entre des mondes, sans y être entièrement enraciné. Cela reflète une conception dynamique de l’existence animale : sa manière d’être-au-monde.
B. Umwelt de l'oiseau : un monde propre mais interrelié
Les oiseaux interagissent avec leur Umwelt (leur "monde propre"), c’est-à-dire la partie du monde qui leur est significative et dans laquelle ils vivent. Leur capacité à se guider à des milliers de kilomètres repose sur une combinaison de perceptions sensorielles spécifiques : la magnétoréception (détection du champ magnétique terrestre), la vision des étoiles, et des repères géographiques. Mais cet Umwelt n’est pas fermé, il interagit avec les Umwelt d’autres êtres vivants à travers des phénomènes d’intersection et d’influence mutuelle. Par exemple, les prédateurs et proies ont des Umwelten qui s’adaptent l’un à l’autre (ex. : un caméléon perçoit son Umwelt en fonction des couleurs de son environnement et des prédateurs qui l’environnent) ou certains animaux développent des perceptions en réponse aux Umwelt des autres espèces (ex. : les fleurs et les abeilles évoluent ensemble pour optimiser leur interaction) ou des espèces différentes peuvent exploiter le même espace en fonction de leur propre Umwelt sans nécessairement entrer en compétition (ex. : les chauves-souris utilisent l’écholocation tandis que les hiboux chassent par la vue)
D. Interactions écologiques : être-en-relation
2. la pollinisation
En résumé
Philosophie et holisme
Le stoïcisme (occident)
Principes fondamentaux liés au tout :
- Unité du monde matériel : Contrairement à certaines philosophies dualistes, les stoïciens affirment qu’il n’y a qu’un seul monde, entièrement matériel et régi par des lois naturelles. Tout dans l'univers est interconnecté et fait partie d'un grand organisme vivant.
- Interconnexion : Chaque être est lié aux autres, ce qui implique une interdépendance universelle. Cette conception favorise une éthique d'harmonie avec la nature et avec ses semblables.
- Acceptation de l'ordre universel : Selon le stoïcisme, tout ce qui arrive dans le tout (l'univers) est nécessaire et contribue à l'harmonie générale, même si cela dépasse notre compréhension.
“Une image plus adéquate des théories logiques avancées par les stoïciens nécessite un contexte plus large, où leur épistémologie, leur philosophie du langage, leur éthique et leur cosmologie même soient présentes.”
Le Taoïsme (orient)
Le taoïsme est une philosophie des relations et du tout.
“La pensée yin-yang a commencé comme une tentative de réponse à la question de l’origine de l’univers. Selon la pensée yin-yang, l’univers est né des interactions entre les deux forces primordiales opposées que sont le yin et le yang. Parce que les choses sont vécues comme changeantes, comme des processus qui naissent et disparaissent, elles doivent avoir à la fois le yang, ou l’être, et le yin, ou l’absence d’être (le non-être ou vide qui n’est pas le néant). Le monde des choses changeantes qui constitue la nature ne peut exister que s’il y a à la fois le yang et le yin. Sans le yang, rien ne peut naître. Sans le yin, rien ne peut disparaître”
- Le non-agir (Wu Wei) : La logique taoïste valorise l'idée de non-agir ou d'action spontanée, qui consiste à agir en harmonie avec les flux naturels de l'univers au lieu de chercher à les forcer ou à les contrôler.
- L'équilibre et le changement : Les taoïstes adoptent une logique cyclique inspirée des rythmes naturels, comme le modèle des cinq énergies (liées aux saisons), qui souligne l'interdépendance et la transformation constante des éléments.
- Scepticisme et relativité : Ils rejettent les vérités absolues, adoptant une approche sceptique et intuitive qui favorise la souplesse face aux oppositions rigides comme le bien et le mal (et le binarisme de façon générale)
Pour une ontologie relationnelle holiste
- Les entités qui n'ont pas de signification ou d'existence autonome en dehors du système dont elles font partie.
- Les relations entre les entités qui sont plus importantes, que les éléments eux-mêmes.
- Pour comprendre que le "tout" est nécessaire pour interpréter correctement ses composants comme parties intégrantes de cette totalité.
“La nature est l’expérience phénoménologique d’ici-bas d’une réalité à laquelle fait défaut le sens, celle d’une matérialité non entièrement domptable et qui pèse du dehors sur toute organisation ontique, et peut-être sur le monde lui-même, exposé en sa totalité même à ce fond abyssal dont il provient, et avec lequel il entretient depuis la nuit des temps une relation d’adversité ontologique, un polemos qui est en même temps le moteur du mouvement de l’histoire cosmologique.” Vers une philosophie phénoménologique de la nature (Schelling, Heidegger, Patočka) par Claude Vishnu Spaak.
Formulation
Pour Alfred North Whitehead "le cours de la nature est un unique événement total qui est divisé par nous en événements partiels, que les événements sont la substance ultime de la nature et que les objets comme le brin d’herbe sont des propriétés de l’événement". (Whitehead, Concept de nature, p.42, 45)
"il est urgent de voir le monde comme un réseau de processus interdépendants dont nous sommes partie intégrante, et que tous nos choix et nos actions ont des conséquences sur le monde qui nous entoure". Alfred North Whitehead, Nature and Life, Chicago, University of Chicago Press, 1934
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Déambulations d’un agent ordinaire dans le monde des êtres vivants et non-vivants autour d'une ontologie relationnelle
Je ne cherche pas à ordonner le monde
Circularité : Je regarde la coccinelle qui mange le moustique qui m’a piqué. Le marais reste calme et indifférent. Moi aussi malgré la douleur de la piqûre. Ainsi est l'ordre des choses.
Chaîne : L’aigle tourne autour de la marmotte qui tourne autour de son terrier. Il en sort une limace. Leur avenir est lié et incertain. La vie reste aléatoire. Je ne fais aucun pronostic.
Habiter : Habiter la terre ou la mer est facile pour se cacher. L’air est le royaume de l’oiseau : à tel point qu’il arrive même à dormir en volant. C’est le summum de l’adaptation. L’habitat de tous les êtres vivants est commun à tous, il n’y a qu’une seule terre et un seul immeuble sur la terre.
Danse : Ce vol d’étourneaux parfaitement réglé et synchronisé est un ballet. Je n’en suis pas le chorégraphe et je n’en cherche aucune signification. Le ballet s’organise de lui-même en harmonie sociale. Il s’ordonne tout seul.
Destruction : L’arme chimique est un pesticide pour l’humain et pourtant l’humain l’utilise sans scrupule contre les insectes. “Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse”. Mais les insectes ne parlent pas, c’est dommage.
Respecter la vie quelle qu’elle soit, le moustique, l'araignée, surtout ceux que l’on dit “nuisibles”, car les espèces dites “nobles” sont protégées. Pourquoi une telle différence ?
Laisser toute sa place au végétal, mêmes les “mauvaises” herbes.
Apprivoiser : Que suis-je pour le chat autre que celui qui lui donne ses croquettes et ne l’empêche pas de manger des souris ? Il consent à être dépendant contre un minimum de liberté. Nous avons un contrat d’être-au-monde. Je n’ai pas à en modifier les termes, même si le chat ne peut plaider devant les tribunaux.
Partenaire : la bactérie m’aide à digérer. En contrepartie, je l’aide (involontairement) à se nourrir. Nous sommes interdépendants.
De toute façon, “L’eau m’échappe… me file entre les doigts. Et encore ! Ce n’est même pas si net (qu’un lézard ou une grenouille) : il m’en reste aux mains des traces, des taches, relativement longues à sécher ou qu’il faut essuyer. Elle m’échappe et cependant me marque, sans que j’y puisse grand-chose.
Idéologiquement c’est la même chose : elle m’échappe, échappe à toute définition, mais laisse dans mon esprit et sur ce papier des traces, des taches informes.
Inquiétude de l’eau : sensible au moindre changement de la déclivité. Sautant les escaliers les deux pieds à la fois. Joueuse, puérile d’obéissance, revenant tout de suite lorsqu’on la rappelle en changeant la pente de ce côté-ci.” Francis Ponge, le parti pris des choses
J’accepte les mouvements naturels, les déplacements des autres vivants. Je ne ramène pas tout au prisme de mon propre espace et de mon bien-être.
Je cherche ma juste place dans le monde
Chaîne : je m’inscris dans la chaîne du vivant en occupant le minimum de place. Je suis le plus transparent possible. Anonyme.
Ma place dans le monde est le sentir et non le sens. Regarder, sentir. Sentir fait partie de la pensée.. penser avec l’ensemble de mes sens, avec le sentir
Je suis le dernier dans la chaîne alimentaire, je me sers en dernier. Je recycle mes déchets.
Je ne cherche pas à accaparer toutes les ressources de la terre. Si je sais que je n'arriverai pas à nourrir mes enfants, je n’en fait pas, plutôt que de saccager les ressources.
Je ne cherche pas à envahir et m’approprier toute la terre. Je laisse de la place aux autres espèces, tout leur espace vital.
Je cueille sans anéantir : je cueille par le regard, l’olfaction, le toucher. Si je prélève pour me nourrir je le fais dans la juste mesure, pour qu’une re-génération s’ensuive.
Je cultive la sobriété. Je ne cherche pas à tout prix à satisfaire mes désirs. Je reste Zen
Je cherche la place des choses autant que la mienne.
Le temps des végétaux se résout à leur espace, à l’espace qu’ils occupent peu à peu, remplissant un canevas sans doute à jamais déterminé. Lorsque c’est fini, alors la lassitude les prend, et c’est le drame d’une certaine saison.
Comme le développement de cristaux : une volonté de formation, et une impossibilité de se former autrement que d’une manière.
Parmi les êtres animés on peut distinguer ceux dans lesquels, outre le mouvement qui les fait grandir, agit une force par laquelle ils peuvent remuer tout ou partie de leur corps, et se déplacer à leur manière par le monde, – et ceux dans lesquels il n’y a pas d’autre mouvement que l’extension.
Une fois libérés de l’obligation de grandir, les premiers s’expriment de plusieurs façons, à propos de mille soucis de logement, de nourriture, de défense, de certains jeux enfin lorsqu’un certain repos leur est accordé.
Les seconds, qui ne connaissent pas ces besoins pressants, l’on ne peut affirmer qu’ils n’aient pas d’autres intentions ou volonté que de s’accroître mais en tout cas toute volonté d’expression de leur part est impuissante, sinon à développer leur corps, comme si chacun de nos désirs nous coûtait l’obligation désormais de nourrir et de supporter un membre supplémentaire. Infernale multiplication de substance à l’occasion de chaque idée ! Chaque désir de fuite m’alourdit d’un nouveau chaînon !
Le végétal est une analyse en acte, une dialectique originale dans l’espace. Progression par division de l’acte précédent. L’expression des animaux est orale, ou mimée par gestes qui s’effacent les uns les autres. L’expression des végétaux est écrite, une fois pour toutes. Pas moyen d’y revenir, repentirs impossibles : pour se corriger, il faut ajouter. Corriger un texte écrit, et paru, par des appendices, et ainsi de suite. Mais, il faut ajouter qu’ils ne se divisent pas à l’infini. Il existe à chacun une borne.
Chacun de leurs gestes laisse non pas seulement une trace comme il en est de l’homme et de ses écrits, il laisse une présence, une naissance irrémédiable, et non détachée d’eux.
Francis Ponge, Le parti pris des choses.
Le cristal s’organise de lui-même
« Avant que nos frères blancs viennent nous civiliser, nous n’avions aucune prison. Par conséquent, il n’y avait aucun délinquant. Nous n’avions pas de clés ni de serrures, donc il n’y avait pas de voleurs. Quand quelqu’un était trop pauvre pour s’offrir un cheval, une couverture ou une tente, il pouvait recevoir cela comme cadeau. Nous n’étions pas assez civilisés pour accorder une telle importance à la propriété privée.Nous voulions posséder des choses pour les donner aux autres, s’entraider. Nous n’avions pas d’argent, pour cette raison la valeur d’un Homme ne pouvait être déterminée selon sa richesse. Nous n’avions aucune loi (écrite), aucun avocat, aucun politicien, par conséquent nous n’étions pas capables de tricher ou d’escroquer autrui. Nous étions vraiment mal en point avant l’arrivée des hommes blancs, et j’ignore comment expliquer la façon dont nous nous y prenions pour nous en sortir sans ces choses fondamentales (c’est ce que nos frères blancs nous ont dit) qui sont absolument nécessaires pour une société civilisée. » Citation John Fire Lame Deer, Lakota.
Je me décentre, je me recentre dans l’entre
Je me pense dans, partie-de la terre, du monde, et non pas en dehors ou au-dessus. Défaire l’idée d’une échelle (pyramide) du vivant, à remplacer par un mélange, un foisonnement. Se placer dans l’entre, dans la relation.
Je me pense à l’échelle globale de la terre. Tout événement se situe dans le cycle de la terre, qui englobe humain, non-humains, l’air, l’eau, le sol, le minéral, la lumière, le cosmos. J’en suis simplement le “souffle”.
J’essaie de sortir de l'anthropomorphisation du monde : regarder le monde d’en-dedans sans se projeter en lui.
Je réfléchis à une autre anthropologie. Les Amérindiens sont restés chasseurs-agriculteurs sur leur territoire en harmonie avec les cycles de reproduction de la nature. Les aborigènes se sont entourés de lieux sacrés. Comment retrouver le flux sensible des choses ?
« Prenez seulement des souvenirs, ne laissez que des empreintes. » Chef Seattle (1862)
Si la relation est première par rapport aux entités, si les entités émergent des relations, alors la notion de sujet et de regard du sujet est remise en cause. S’il faut se décentrer, alors quel est le lieu d’où émerge la pensée ? La pensée est la pensée de la relation, elle participe de l’interaction soi-monde.
Je pense depuis l’arbre ; l’air que je respire en émane. Je mets de la sensualité dans la pensée. L’acte de penser lui-même change de direction d’origine de forme. Toute la représentation du monde est reconfigurée.
La faune bouge, tandis que la flore se déplie à l’œil.
Toute une sorte d’êtres animés est directement assumée par le sol.
Ils ont au monde leur place assurée, ainsi qu’à l’ancienneté leur décoration.
Différents en ceci de leurs frères vagabonds, ils ne sont pas surajoutés au monde, importuns au sol. Ils n’errent pas à la recherche d’un endroit pour leur mort, si la terre, comme les autres, absorbe soigneusement leurs restes.
Chez eux, pas de soucis alimentaires ou domiciliaires, pas d’entre-dévoration : pas de terreurs, de courses folles, de cruautés, de plaintes, de cris, de paroles. Ils ne sont pas les corps seconds de l’agitation, de la fièvre et du meurtre.
Dès leur apparition au jour, ils ont pignon sur rue, ou sur route. Sans aucun souci de leurs voisins, ils ne rentrent pas les uns dans les autres par voie d’absorption. Ils ne sortent pas les uns des autres par gestation.
Ils meurent par dessiccation et chute au sol, ou plutôt affaissement sur place, rarement par corruption. Aucun endroit de leur corps particulièrement sensible, au point que percé il cause la mort de toute la personne. Mais une sensibilité relativement plus chatouilleuse au climat, aux conditions d’existence.
Francis Ponge, Le parti pris des choses
Je pense l’échange, la relation, plutôt que l’objet. La notion d’objet elle-même perd son sens car les frontières sont abolies. Il n’y a plus d’extériorité du phénomène mais l’intériorité d’un seul monde vivant et vibrant.
Je suis émergence, immersion, non-séparation, union. Je sens tous les Umwelten qui m’entourent.
Je me fais minuscule. Écoute, regard, ondes vibratoires, dans le silence. Sensations. Un élément, une chaîne de vie, un grain, une graine.
Je me mets face au soleil dans un jardin japonais; je suis traversée par le rayon de soleil, je suis portée par le jardin. Je suis une partie de cet instant du monde de ce lieu du monde.
Je me tiens face au soleil,
Dans ce jardin d’harmonie et de paix,
Les pierres murmurent des secrets anciens,
Les arbres s’inclinent dans un souffle léger.
Un rayon d’or fend l’air,
Il traverse mon âme, me berce doucement,
Je ne suis plus qu’un fragment d’éclat,
Un instant suspendu dans le temps.
Le jardin m’accueille, m’enlace,
Chaque feuille, chaque pétale, un univers,
Portée par sa cadence immuable,
Je deviens une note dans son poème dispersé.
Et ce lieu, ce moment du monde,
Me murmure l’éternité en silence.
Je suis, nous sommes,
Un seul battement, une seule lumière.
Je jouis de mon contact avec l’espace, je sens mon corps en expansion et en harmonie. Je fais l’amour avec toi sur le sable ou dans la forêt. Je me décentre en toi.
Je m'enivre de nudité dans le printemps de la terre. Être en célébration.
Je donne notre plaisir à la forêt qui nous englobe ou à la dune qui nous entoure. Vibrer forêt. En union forte et étroite de nos corps. En un seul geste de jouissance cosmique.
Je donne
Je donne de l’eau aux plantes qui meurent de soif
Je nourris et me nourris de la terre. J’ai des gestes parcimonieux pour la respecter. Je donne à la terre ce qui la nourrit et non ce qui la blesse et la détruit. Je fais ces gestes avec attention.
Je ne fais pas de différence entre le vivant et le non-vivant, car le non-vivant est la niche du vivant (le sol, l’air, l’eau, etc.)
Je donne de l’attention aux choses. Je n’économise pas mon temps.
‘Le disciple prenait sa tâche très à cœur, et il nettoyait chaque centimètre du jardin avec une précision et une ténacité importante mais à chaque fois qu’il demandait au maître si cela convenait, le maître répondait que c’était loin d’être parfait. Après plusieurs jours du même serment, le maître finalement s’attela à montrer ce qui n’allait pas à son disciple. D’un geste assuré, il remua avec vigueur les branches des arbres, les feuilles d’automne, d’un rouge étincelant, tombèrent sur le roji, à la lueur dorée. Le maître s’en félicita et dit :
Les feuilles de chêne
Rougies de l’automne
Tombent, sont entassées sur le sentier
D’un vieux temple montagnard
Comme ce chemin est solitaire !”
Je prends le parti des choses (dans Le Parti pris des choses, Francis Ponge décrit des « choses », des éléments du quotidien, délibérément choisis pour leur apparente banalité. L'objectif de ce recueil est de rendre compte des objets de la manière la plus précise possible et de la beauté des objets du quotidien. Ainsi le papillon devient « un minuscule voilier des airs malmené par le vent » ou même « une allumette volante »).
LE PAPILLON
Lorsque le sucre élaboré dans les tiges surgit au fond des fleurs, comme des tasses mal lavées, – un grand effort se produit par terre d’où les papillons tout à coup prennent leur vol.
Mais comme chaque chenille eut la tête aveuglée et laissée noire, et le torse amaigri par la véritable explosion d’où les ailes symétriques flambèrent.
Dès lors le papillon erratique ne se pose plus qu’au hasard de sa course, ou tout comme.
Allumette volante, sa flamme n’est pas contagieuse. Et d’ailleurs, il arrive trop tard et ne peut que constater les fleurs écloses. N’importe : se conduisant en lampiste, il vérifie la provision d’huile de chacune. Il pose au sommet des fleurs la guenille atrophiée qu’il emporte et venge ainsi sa longue humiliation amorphe de chenille au pied des tiges.
Minuscule voilier des airs maltraité par le vent en pétale superfétatoire, il vagabonde au jardin.
Francis Ponge Le parti pris des choses
Le papillon erratique
Donner c’est aussi arrêter de prendre : « Quand le dernier arbre aura été abattu - Quand la dernière rivière aura été empoisonnée - Quand le dernier poisson aura été péché - Alors on saura que l'argent ne se mange pas. » Géronimo
Je reviens aux rituels
Honorer la terre, faire des offrandes. retrouver le sacré de la terre primordiale, du cosmos, de l’arbre pluri-centenaire. Je ne sanctuarise pas pour autant les réserves d’animaux, car c’est les enfermer et les isoler. Je ne sanctuarise pas non plus certaines zones en particulier de l’environnement car toute la terre est un sanctuaire. Le sacré n’est pas localisé.
Ce qui nous dépasse. Qui appelle nos célébrations. La gratitude pour le monde qui se donne.
Le fleuve est comme une divinité, je crains son impétuosité, je n’essaie pas de le dominer mais au contraire je m’incline à son vouloir. La montagne me dépasse, je ne cherche pas à la conquérir, ni à l’apprivoiser.
Je m’adonne aux rituels qui sont la célébration de la vie, aux petites choses, aux petits gestes quotidiens.
La cérémonie du thé est appelée Chanoyu en japonais, ce qui veut dire littéralement « eau chaude pour le thé ». Ce rituel culturel découle de quelque chose de bien plus grand, d’une philosophie et d’une discipline connue sous le nom de Chadô ou la Voie du thé. Le concept majeur de la cérémonie du thé fut développé par le plus célèbre des maîtres de thé, Sen No Rikyû (1522-1591). C’est lui qui rédigea les quatre grands principes de ce rituel : Wa pour harmonie, Kei pour respect, Sei pour pureté et Jaku pour sérénité. Comprendre et pratiquer la cérémonie du thé prend une vie entière. Chaque geste est codé et les ustensiles utilisés ont une fonction précise. Le silence permet de concentrer l’attention sur les subtilités des gestes, des regards et même de la manière de tenir la tasse de thé. En d’autres termes, le silence devient un langage en soi, transmettant respect, attention et une forme de communion qui ne nécessite pas de mots.
Le jardin de la cérémonie du thé
Wabi-sabi est un concept esthétique japonais qui met en avant la beauté de l’imperfection, de la simplicité et de l’impermanence. Très intégré dans la cérémonie du thé, il a également un impact profond sur divers aspects de la culture et de la philosophie japonaises. Le wabi-sabi peut être observé dans le choix de la vaisselle, souvent simple et rustique, et dans l’acceptation des petites imperfections comme des signes d’unicité et de caractère. Un bol ébréché ou une tasse légèrement décolorée ne sont pas rejetés, mais plutôt valorisés pour leur individualité. Wabi-sabi nous invite à trouver la beauté dans des choses qui pourraient sembler incomplètes ou imparfaites à première vue. Il nous enseigne que l’imperfection est une partie inévitable de l’existence, et qu’elle peut même être source de joie et d’épanouissement.
Je suis dans la temporalité des choses et le rythme de la vie
Je m’inscris dans la durée des choses. Je suis dans leur temporalité. Car toutes les choses “vivent” à leur manière.
Je laisse l’usure faire son chemin sans rien précipiter. Tout un chemin dans le cycle de vie des choses, car les choses meurent comme les êtres.
J’intègre la mort dans le processus de vie. La mort est une composante essentielle du vivant, il n’y aurait pas de vie sans la mort. Elle est dans le renouvellement de la terre, le cycle du vivant. Je l’accepte comme le cycle des transformations, le cycle des saisons. Je m’incarne dans la temporalité de la terre. En forêt je m'immerge dans le temps de l’arbre, le rythme de sa respiration.
L’être est affecté par l’autre dans sa temporalité. Dans le solipsisme du soi le temps n’est rien. « Deux temporalités ne s'excluent pas comme deux consciences, parce que chacune ne se sait qu'en se projetant dans le présent et qu'elles peuvent s'y enlacer » Merleau-Ponty
Je reste à l’écoute du battement de vie des choses. Je pose délicatement la tasse de thé pour ne pas l’ébrécher.
Je laisse le passé au passé. Rangé dans le grand livre. Je m’ouvre au devenir. Le rythme des saisons, le vent, les vagues qui s’échelonnent jamais identiques.
Je me mêle aux nuages qui sans cesse évoluent comme des êtres animés et me communiquent leurs messages. Ils sont tantôt cirrus effilochés, nimbus lourds et sombres, stratus embrumés, lenticulaires et cycloniques, ou simples moutons vagabondants dans le ciel.
Les nuages
Dans un ciel d'étoffes effilochées
Les nuages dansent sur la toile des rêves,
Parfums de brume, effluves alanguies,
Où l’arc-en-ciel chuchote des secrets.
Lourds et chargés comme des pensées,
Ils pleurent parfois des larmes de velours,
Des gouttes de temps en suspension,
Créent toutes ensemble une mer aérienne,
Chaque éclat est un souffle de jour.
Formes lenticulaires, voiles d'illusion,
Cycloniques ballets des tempêtes muettes,
Ils s’entrelacent en caresses de brise,
Porteurs de mystères que le vent transporte.
Moutons d’azur, ruminant la lumière,
Égarés dans des champs de coton,
Ils vagabondent, messagers de l'éther,
En quête d'une étoile, d'un horizon.
Mes pensées se reflètent dans cet infini,
Là où le ciel s’embrase et la terre se tait.
Bleu sphérique
océanique
vague de la terre mère
se spirale d’étoiles
pensée cosmique dense de sens
dessinant l'être ciel
au soir magique
le chemin de lune ouvre l’aventure intérieure
au murmure galactique.
Et puis le ciel s’ensemença
les arbre ouvrirent leurs ailes
et l’oiseau déploya son chant.
Je cultive la joie
La joie authentique ne requiert aucun artefact, c’est la jouissance simple d’exister. La joie nue est un rayonnement.
La joie est le résultat de l’harmonie du monde, du bon rapport des relations des entités entre elles
En des instants de révélation, mon être se fond dans une vibration cosmique, jouissance simple de l’exister cosmique. Le sentiment océanique, le souffle Deux. Le chant de l’Ouvert de la fécondité du monde.
Puisque la fin de ce monde est le néant,
Suppose que tu n’existes pas et reste libre
Ne te dépense pas en tristesse insensée, mais,
Donne dans le chemin de la vie, toute ta joie.
D'après Omar Khayyam
J’ai de la gratitude pour ce que me donne la terre.
La mousson et les crues du Nil.
Je cultive l’altérité des non-humains
J’essaie de ne pas envahir le territoire des autres, je me fais la plus légère possible. Ce faisant, j’augmente ma joie.
Je refuse la captivité des animaux. Je refuse l’industrialisation du végétal. Je refuse toute aliénation des choses.
L’altérité avec les non-humains : développer des agir-ensemble qui les respecte.
Observer les oiseaux des jardins, les nourrir l’hiver mais ne pas les faire tomber en dépendance. ne pas les encager. Apprécier leurs chants, ne pas les imiter pour ne pas les perturber. Diminuer l’intensité lumineuse des villes la nuit. Respecter le sommeil des animaux.
Observer les animaux sauvages, ouvrir leur espace. Accepter qu’ils aient un impact négatif sur certaines activités humaines. Toute vie est à respecter.
Si des animaux sont utilisés pour aider l’homme dans son travail (cheval par ex) le faire avec respect de l’animal. (Jocelyn Porcher)
Mettre tous les animaux au même niveau, il n’y a pas que les mammifères et les gentils toutous, il y a tous les insectes, les oiseaux, les reptiles…
Intégrer le vivant de manière globale, même le végétal. Arrêter de hiérarchiser.
Se penser parmi-l’habitat terre, partie-de, non-séparation
Imiter la sagesse des peuples autochtones :
La sagesse des peuples autochtones se réfère à leur vision du monde, leurs connaissances, leurs pratiques culturelles, et leur relation harmonieuse avec la nature. Cette sagesse, transmise oralement à travers des générations, reflète une compréhension profonde des écosystèmes locaux, un respect pour la biodiversité, et une gestion durable des ressources. Il faut en tirer des enseignements sans chercher à les imiter. Mais rappelons les points suivants qui les caractérisent :
Holisme : Les peuples autochtones voient le monde comme un tout interconnecté où humains, animaux, plantes, et éléments naturels coexistent dans un équilibre fragile. La terre, la forêt, les animaux, ont une âme et les âmes sont interconnectées.
Connaissances écologiques : Ils possèdent des savoirs uniques sur les plantes médicinales, les cycles naturels, et la gestion des terres, souvent utilisés pour préserver la biodiversité.
Spiritualité et respect : Leur spiritualité est intimement liée à la nature, considérant la Terre comme une entité vivante qu’il faut honorer et protéger.
Transmission orale : La sagesse est partagée par des récits, chants, et rituels, maintenant ainsi une mémoire collective vivante.
Le sens de la mesure : ils ne prélèvent pas au-delà de leurs besoins.
Je réfléchis sur un modèle de représentation du monde
Un changement profond de posture de la part de l’humain est nécessaire, ce changement englobe la connaissance ou du moins les formes de connaissance et les points de vue
Comprendre ce que je suis pour le monde, et non ce que le monde est pour moi.
Il n’y a pas d’individu isolé, il y a un réseau interdépendant et interconnecté qui se reconfigure en permanence.
C’est pourquoi je fais de l’ontologie relationnelle un fondement de ma pensée.
Je pense en non-séparation, non réductionnisme
J’oublie les contours, les frontières, je les remplace par le fluide (et les formes floues), l’éther (et l’espace métaphysique), le milieu (et ses interactions).
Je renverse les ontologies
Je bouscule la hiérarchie des agents vivants
Je me concentre sur les relations vitales
Je m’interroge sur la causalité des phénomènes d’interaction
Je remplace les connaissances écologiques par leurs ressentis écologiques
Notre vision des animaux (hiérarchisation) doit être repensée.
Voir la Déclaration de New York sur la conscience animale.
Il existe une “possibilité réaliste d’expérience consciente” chez les reptiles, les poissons, les insectes. Dans tous les cas, ils ont une perception et une cognition.
Vinciane Despret, dans “Habiter en oiseau” montre comment les études sur le territoire des oiseaux sont totalement imprégnées et dirigées par les pré-supposés de fonctions des auteurs de l’étude. C’est par des prémisses arbitraires qu’il attribuent par exemple des fonctions d’agressivité, de conquête des femelles, de régulation de populations. “Le terme “territoire” avec une connotation très marquée de “propriété exclusive dont on s’empare” apparait dans la littérature ornithologique au XVIIe siècle, c’est à dire au moment où, selon Philippe Descola et de nombreux historiens du droit, les Modernes résument l’usage de la terre par un seul concept, celui de l’appropriation. [...] Cette notion repose à la fois sur l’idée d’un contrat qui redéfinit les humains comme des individus et non des êtres sociaux, sur de nouvelles techniques de mise en valeur de la terre qui exigent que cette cette terre soit délimitée et que sa possession soit garantie, et sur une théorie philosophique du sujet, celle de l’individualisme possessif qui reconfigure la société politique comme un dispositif de protection de la propriété des individus. On connaît l’histoire des enclosures, l’expulsion des communautés paysannes des terres dont elles avaient la jouissance coutumière et l’interdit qui les a frappées de prélever dans les forêts les ressources essentielles à leur vie. Avec cette nouvelle conception de la propriété on assiste à l’éradication de ce qu’on appelle aujourd’hui les commons qui faisaient l’objet d’usages collectifs et autoorganisés de ressources communes comme les canaux d’irrigation, des pâtures communes, des forêts …
Dans le jardin des essences diaphanes
Les arbres parlent à leurs racines tandis que
Leurs branches tissent des réseaux d’éclair
au vent qui chuchote des équations infinies
L’être se déploie en spirales de soie
Dont chaque fil est une rencontre, une danse.
Les étoiles s’accrochent aux paupières du vide
Et le temps s’évapore en fragments de présence
Je suis toi, tu es moi, nous sommes l’entre-Deux et le Deux
Un pont de brume où les ombres s’épousent
Les miroirs brisés reflètent des mondes inversés
Et chaque éclat murmure une vérité complémentaire.
L’ontologie se dissout en couleurs liquides
Elle coule des doigts de l’univers
Les relations sont des oiseaux sans cages
Leurs ailes dessinent des cartes migratoires éphémères
Dans ce rêve tout est lien et distance
La solitude est une constellation éparse
Et l’existence un poème sans fin
Où chaque mot est un autre monde qui éclate.
Prairie d’étoiles
à la brumisation de lune
éclairs de sens
incandescents
des champignons phosphorescents inventent un chemin karmique
le temps est une enveloppe voluptueuse
le cosmos happe l’hirondelle
qui m’appelle
d’un chant pailleté
les idées caresses s’envolutent au ciel vaporeux
Les racines écoutent
l’arbre penche ses branches
à l'écoute du vent cosmique
qui déploie impatiemment
l’étoffe de la rencontre
Car la rencontre est le début d’une relation ontologique