Intuition et imagination

 

Intuition


Intuition Isabeau Maxwell

On trouve souvent cette définition d’inspiration kantienne : “L’intuition est une pensée qui arrive presque spontanément, parfois comme une évidence voire une révélation. C’est une lumière qui s’allume, une connexion qui s’établit, une étincelle qui jaillit. L’intuition précède le langage” ou celle-là : “L’intuition est une forme de connaissance directe et immédiate, qui se présente spontanément à la pensée, sans passer par un raisonnement réflexif conscient.”

Pour Henri Bergson, l’intuition est ce qui nous permet d’accéder à la dimension spirituelle du réel : elle se définit comme une « espèce de sympathie intellectuelle » par laquelle nous saisissons la durée intensive qui constitue l’épaisseur de la conscience et la densité du monde. Relation entre Bergson et Kant, Frédéric Worms.

Ces définitions ne sont pas satisfaisantes. Pour cela revenons à la notion de sens développée dans l’article sens : le sens est l’apparaître des choses mêmes par-delà les images et les mots. En ce sens, l’intuition est la perception de cet apparaître (Edmund Husserl). Ce n'est pas du tout un raisonnement rapide ou fulgurant ni une prise de conscience instantanée. C’est une perception. Cette perception peut dans un deuxième temps se transformer en connaissance mais ce n’est pas là sa caractéristique propre. “L'intuition est l'évidence apodictique, de la donation de la chose elle-même au sujet” (Nathalie Depraz).

L’intuition est immédiate, elle donne l’objet in propria persona. Lorsque je vois la tour Eiffel « en propre », quelque chose m’est donnée d’une manière directe et immédiate. Franz Brentano caractérise justement cette immédiateté en termes de « représentations propres ». Selon lui, les intuitions sont des représentations propres de contenu sensoriel. Une représentation propre est une représentation dont les parties du contenu sont des parties réellement attributives. Une autre caractéristique commune à la conception des intuitions défendue par Brentano et Husserl est la parenté de l’intuition avec la perception. Les phénoménologues comme Brentano et Husserl caractérisent généralement l’intuition (Anschauung) comme une forme particulière de perception, en opposition par exemple aux croyances intuitives, ou aux inclinations à croire, ou à toute autre attitude propositionnelle ressemblant aux croyances. En ce sens, pour Husserl et Brentano, les actes intuitifs sont perceptuels, bien que ce qui est considéré comme « perceptuel » (pour Husserl) dépasse ce qui tombe strictement dans le domaine de la perception sensorielle. L'intuition est-elle une attitude propositionnelle ? Guillaume Fréchette

Mais l’intuition n’est pas une forme de connaissance car il n’y a pas de vérité dans l’intuition qui est juste une perception. Or la perception n’est ni vraie ni fausse en soi. Il serait faux de penser qu’il y a des intuitions vraies ou fausses ou qu’un tel ou untel est davantage prédisposé à avoir des intuitions toujours vraies ou pour le dire en mots simples est “intuitif”..

“L'intuition s'oppose aussi bien à l'expérience qu'au raisonnement. L'intuition joue pour un cas nouveau, imprévu, urgent. À première vue, on éprouve la confiance ou l'amitié à l'égard d'un homme. À première vue on juge une affaire…” Alain, Propos,1934.

L’intuition et le sens entretiennent un rapport de temporalité : l’intuition c’est l’avant

  • l’avant de la connaissance, l’avant de la construction de sens
  • cet avant a une légèreté, il se fond dans un réseau de signes
  • et se concrétise seulement après comme une intuition reconnue
  • elle est au bord de la conscience
  • pas encore saisie
  • pas encore affirmée en élément de sens
  • elle est une tonalité

L’intuition comme une texture particulière de la perception et du sens (perception du sens, sens de la perception)

  • légère et fondue dans un enchevêtrement de signes
  • vaporeuse évanescente
  • dans l’être-là pour la saisir
  • élément du là de l’être-là
  • quand le monde déploie ses signes

L’intuition comme un mouvement initial

  • un avant que l’on saisit ou non
  • c’est après coup qu’on qualifie “cette perception de ce qui va arriver” comme une intuition
  • mais toute saisie du sens commence par une intuition
  • l’intuition est le contraire de l'imagination
  • elle est de l’ordre du sensible, de la perception

“L’intuition donne vie au sens, elle se vit”, Martin Heidegger, Phénoménologie de l’intuition et de l’expression

La vie est première, l’expérience qu’on en fait est une expérience immédiate « sur le coup » de ce qui arrive au moment où cela arrive. L’immédiateté est une caractéristique qu’on retrouve dans toute intuition, et elle n’est pas dérivée uniquement de l’expérience sensorielle mais d’une expérience tout court du vécu.

De même pour Michel Henry : l'intuition est la propriété que possède la vie de se sentir elle-même hors de toute idée

L'intuition est le mode de dévoilement de l'indicible

Esprit et sens dans un même élan, dans une acuité de saisie du réel
L’esprit pleinement plongé dans les sens
L’être entier qui appréhende l’expérience, sans cloisonnement, sans l’artifice des concepts

“La pensée appartient au monde créé, alors que l'intuition appartient au monde créateur. La première est soumise au temps, la seconde lui échappe. La pensée sert simplement à transmettre ce que l'intuition lui inspire.” Patrice Van Eersel, Le Cinquième Rêve. Le dauphin, l'homme, l'évolution (1993)

La pensée et l'intuition

La pensée s’éveille, ancrée dans le temps,
Elle suit le fil des jours, dans un rythme lent.
Elle calcule, elle pèse, elle cherche à comprendre,
Le monde créé où elle doit se rendre.

Mais au-delà des mots, dans un souffle secret,
L’intuition éclaire ce que l’on ne voit jamais.
Elle est la flamme douce, sans limites, sans fin,
Échappant aux heures, se glissant dans l’infini chemin.

La pensée, servante, tisse son savoir,
Mais c’est l’intuition qui lui montre le miroir.
Elle inspire, elle murmure des vérités légères,
Transcendant le temps, franchissant les frontières.

La pensée est le fleuve, l’intuition l’océan,
L’une s’écoule, l’autre est dans le présent constant.
L’une fait écho à l’autre, avec soin et mesure,
Car la pensée transmet ce que l’intuition murmure.

Ainsi, dans ce ballet de l’être et du savoir,
La pensée captive et l’intuition sans regard
Nous mènent ensemble, deux mondes en union,
Vers l’éternité cachée dans chaque inspiration.


En ce sens, le poète est un Voyant. Il écarte les voiles et regarde dans la nuit.

“Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé” Paul Eluard, Donner à voir. Ed. Gallimard.

 

Voici venir le temps des croisades.
Par la fenêtre fermée les oiseaux s’obstinent à parler
comme les poissons d’aquarium.
À la devanture boutique
une jolie femme sourit.
Bonheur tu n’es que cire à cacheter
et je passe tel un feu follet.
Un grand nombre de gardiens poursuivent
un inoffensif papillon échappé de l’asile
Il devient sous mes mains pantalon de dentelle
et ta chair d’aigle
ô mon rêve quand je vous caresse !
Demain on enterrera gratuitement
on ne s’enrhumera plus
on parlera le langage des fleurs
on s’éclairera de lumières inconnues à ce jour.
Mais aujourd’hui c’est aujourd’hui
Je sens que mon commencement est proche
pareil aux blés de juin.
Gendarmes, passez-moi les menottes.
Les statues se détournent sans obéir.
Sous leur socle j’inscrirai des injures et le nom
de mon pire ennemi.
Là-bas dans l’océan
Entre deux eaux
Un beau corps de femme
Fait reculer les requins
Ils montent à la surface se mirer dans l’air
et n’osent pas mordre aux seins
aux seins délicieux.

Robert Desnos, Destinée arbitraire, Recueil : "C'est les bottes de 7 lieues cette phrase « Je me vois »"

L’intuition est un paysage intérieur d’avant la parole. Esquisse d’un paysage à la fois intérieur et extérieur.

Ce n’est pas un prélude, c’est une manière d’accéder au monde.

Le parfum de ce qui n’est pas encore. Des couleurs, des textures, des volutes qui pénètrent l’être avant le concept.


Imagination

L’intuition va des choses à l’esprit, elle est réceptrice. L’imagination va de l'esprit aux choses, elle est productrice. Les deux se complètent et sont de même nature, des processus instantanés. L’intuition et l’imagination se nourrissent l’une de l’autre 

L’intuition et l’imagination sont dans le même rapport que le désiré et le désirable. L’imagination échafaude le désirable tandis que l’intuition dénude le désiré

Et inversement,

L’imagination est aux aguets

L’intuition lui dit qu’il y a un autre monde, désiré,

L’imagination crée ce monde désirable


L’intuition, c’est l’esprit autant dans la terre que dans le corps. C’est l’écoute du frémissement de la terre, terre vue comme Gaia totalisante. L’imagination est l’éclair qui illumine la scène. Toute imagination implique la projection du corps vécu. Loin d’être entièrement dépourvu de spatialité, l’imaginaire exhibe des caractéristiques quasi-spatiales, et il est fondé sur ce qui est « le plus propre » de mon corps vécu – cela même que, pour ainsi dire, j’amène toujours avec moi, même dans les envols les plus éloignés de mon imagination. L’imaginé est un vécu (Martin Heidegger), une expérience vécue.

L’imagination et l’imaginaire qui en résulte ne doivent pas être amalgamés à l’univers du rêve, des mythes, des chimères et des fantasmes mais doivent être analysés comme des fondements de la pensée, une confrontation au réel, et à la construction de ce dernier par l’expérience vécue. L'imagination est une re-construction per se du réel.

L’intuition explore l’Ouvert, dans le décloisonnement des espaces intérieurs et extérieurs, le mélange des sens. L’intuition vient fureter dans les domaines de l’imaginaire ouvert. L’imaginaire construit une sémantique de l’Ouvert. “Le « dedans » et le « dehors » du langage se renvoient l’un à l’autre dans une même dynamique de médiation, médiation entre l’homme et le monde, entre l’homme et l’autre homme, entre l’homme et lui-même.” Paul Ricœur

L’imagination est la clé du fonctionnement poétique du langage : 

“La dimension poétique du langage, est la dimension à la fois créatrice et critique qui permet l’émergence de nouveaux mondes possibles. Elle n’est donc pas dirigée vers la vérification scientifique ou la communication ordinaire mais possède un pouvoir révélant et expérimental sur le monde et sur nous-mêmes.” Paul Ricœur

Par un renversement des conceptions classiques, Mikel Dufrenne arrive à faire de l’imagination non plus une faculté qui sépare l’homme du réel, mais au contraire la preuve de notre insertion profonde en une Nature naturante dont nous procédons et dont nous héritons en quelque sorte en devenant nous-mêmes capables de subversion et de création. Ce dont l’imaginaire témoigne en nous, c’est de l’existence d’un sens possible dans la matérialité brute, sens qui se suggère lui-même en nous, avant même notre accession à l’abstraction. La nature artiste, Maryvonne Saison

Imbrication intuition-imagination, une double expérience du monde.

Parler d’imagination, c’est parler de ce en fonction de quoi apparaissent les images, sans réduire leur apparaître à l’illusion, mais en les gardant dans l’intuition.

L’intuition s'avance nue, l’imagination en fait le récit.

L’expérience corporelle (avec la primauté des sensations) coexiste avec l’expérience de la relation à l’autre (et donc d’un début d’échange social) pour aider à l’intériorisation des expériences, créer l’imagination et l’instaurer dans les premières formes d’organisation primitives de la subjectivité. Aux sources de l’imaginaire, nous rencontrons ainsi les origines de la sémiotisation du monde et de soi. En ce lieu, l’imagination institue, avec l’aide de l’autre, une « narrativité sensorielle » (Nassikas, 1996) et secondairement une « enveloppe narratrice » (Stern, 2003). De ce lieu originaire, s’organise ainsi la mise en forme progressive des expériences vécues, leur traduction, leur harmonisation. Le rôle de l'imagination  créative dans la vie psychique, Cédric Faure.

La création artistique montre le rôle de l’imagination dans le « processus d’extériorisation de l’intériorité » (dans un travail de socialisation de l’imagination). L’acte de création permet en effet de donner une représentation partageable à nos vécus corporels. A travers les médiations artistiques et culturelles (musique, peinture, photographie, modelage, écriture, dessin, etc.) nous percevons le travail de l’imagination à l’œuvre dans la matière des mots, des sons, des couleurs, des mouvements, dans la construction d’images, de sonorités, de chorégraphies.

L’imagination est le penser de l’impensé.

Pour le sage chinois, l’imagination est l’aptitude spontanée, instantanée, sans limites, qui permet à l’esprit de randonner librement de concert avec le monde et d’être coprésent à la totalité des existences. L'esprit « randonne » harmonieusement (you) de compagnie avec le monde extérieur, l'expérience est celle d'un dynamisme supérieur de la conscience la faisant entrer en symbiose avec la totalité du monde. L'esprit s'est affranchi des limites objectives de l'espace et du temps, son intuition est globale et instantanée.

“Chez Liu Xie, cet espace imaginaire illimité qui s'ouvre ainsi à la conscience créatrice, auquel celle-ci accède totalement, au sein duquel celle-ci se déploie si spontanément, rien ne l'oppose précisément à du « réel » ; sa qualité d'imaginaire tient à sa disponibilité, à son extensivité, à son « évasivité ». Monde indéfiniment ouvert, immédiatement accessible mais dont rien n'indique qu'il soit autre : absence de tout dualisme (entre ce monde-ci et un « autre » monde). L'expérience créatrice à ses débuts s'apparente plutôt à une extase.” François Jullien. Naissance de l'« imagination » : essai de problématique au travers de la réflexion littéraire de la Chine et de l'Occident. In: Extrême-Orient, Extrême-Occident, 1985, n°7. Le « réel », l'« imaginaire ». pp. 23-81.

L’imagination crée l’espace offert à l’intuition, l’espace de son déploiement, de sa déambulation.

Peut-être y-a-t-il un continuum entre intuition et imagination, l’esquisse infiniment légère et volatile de l’intuition se précisant dans une direction par l’imagination ? Imagination et intuition s’imbriquent dans le processus créatif, qu’il soit intellectuel ou artistique.


L'onde de l'intuition et de l'imagination

Peut-être existe-t-il un pont secret, subtil,
Entre l’intuition, murmure fragile,
Et l’imagination, qui, dans l’éclair du vent,
Fait naître des mondes au cœur de l’instant.

L’intuition est l’aube, à peine un frisson,
Un souffle évanescent, une douce vibration,
Elle effleure l’esprit, légère comme l’air,
Sans forme, sans contour, sans lumière claire.

Mais vient l’imagination, vaste et téméraire,
Elle capte l’esquisse, l’emporte dans ses mers.
Elle peint, elle sculpte, elle donne un visage,
À l’intuition vague, à son élan sauvage.

Dans ce jeu fluide, sans début ni fin,
Intuition et imagination se tiennent par la main,
L’une souffle l’idée, l’autre lui donne des ailes,
Elles s’imbriquent, créant l’œuvre éternelle.

Qu’il s’agisse d’un songe, d’une toile, d’un mot,
Ou d’une pensée errante, glissant dans les flots,
L’intuition et l’imaginaire, dans un seul élan,
Dansent ensemble, d’un geste incessant.

Leur lien est un continuum, doux et mouvant,
L’intuition esquisse, l’imagination devient.
Et dans ce processus, qu’il soit de l’art ou de l’esprit,
Naît la création, infinie, inouïe.

 

Intuition et imagination dans l’expérience de l’altérité

L’accès à l’être de l’autre ne peut se faire que par intuition ou imagination, nous ne pouvons connaître ni ses pensées du moment  ni son vécu, ne l’ayant pas vécu soi-même. Même les mots ne peuvent faire accéder à cette connaissance. L’autre est toujours en-dehors de soi par ses propres perceptions et son expérience de la vie. Nous ne pouvons lui attribuer ni des états mentaux ni des expériences (nous ne pouvons pas accéder à sa douleur pas plus qu’à ses ressentis, nous ne pouvons que les imaginer).

L’autre se construit dans le regard que l’on pose sur lui. 

L’imagination de A à propos de B peut être entendue de deux manières différentes, selon que l’on s’attache à l’imagination de dicto (imaginer que P selon que B dit qu’il ressent P) ou à l’imagination de re (imaginer de x qu’il soit F selon ce que B dit à propos de son ressenti x). Par exemple B dit “j’ai mal à la tête”, A ne peut attribuer de ressenti de cette douleur qu’indirectement par son imagination de dicto (imaginer une douleur du type de celle que ressent B) ou de re (imaginer ses propres maux de tête et en attribuer une à B).

Nous ne pouvons rencontrer l’être-de-l’autre (au sens ontologique, c’est-à-dire son existant) que de manière indirecte, soit de manière intuitive soit de manière projective (imaginative). Nous prenons ici le sens du mot rencontre dans son étymologie “aller à la rencontre de, s’intéresser à, s’approcher de” ou en d’autres termes faire l’expérience de l’altérité. Nous ne parlons pas ici de rencontre physique ou corporelle qui se suffit à elle-même et n’exige pas de passer par le prisme de l’imaginaire ou de l’intuitif. Il s’agit ici non pas de percevoir l’autre mais de percevoir son perçu.

Il lui faut un je, un tu, un lieu et un temps“La rencontre par excellence est celle de la femme inconnue, qui surgit dans un décor réel, sans préparation, à un moment inattendu” (André Breton, Nadja). Cette rencontre est une forme d’expérience vécue “par surprise” de l’altérité. L’intuition est dans l’orée de la rencontre. L’imagination fait le reste.

Le désir est intuition, le désirable est imagination. Il s'ensuit un récit, celui de la rencontre. “L’obscur désir, celui qui ne peut se réaliser comme désir, cherche et trouve son lieu. […] Le hasard est le désir : ce qui signifie que le désir ou désire le hasard en ce qu’il a d’aléatoire, ou le séduit pour le rendre inconsciemment semblable à ce qui est désiré.” Maurice Blanchot, 1967, « Le demain joueur ». André Breton et le Mouvement surréaliste, Nouvelle Revue Française, n° 172, p. 283-308.

La rencontre se fait au seuil d'une porte battante. C’est le lieu de la rencontre, son tantôt ouvert tantôt fermé. Pour Baudelaire l’imagination est la faculté majeure de l’esprit qui transforme et construit une autre réalité dans laquelle il est voluptueux de s’abandonner.  L'imagination « reine des facultés » s'oppose donc dans cette esthétique à la « trivialité positive ». « Je voudrais, dit-il, des prairies teintes en rouge et des arbres peints en bleu. La nature n'a pas d'imagination. »

L’intuition est la condition de possibilité d’un récit. Ce n’est pas l’avant ni sa prémisse, c’est l’ouverture d’un espace de possibles. Intuition et coïncidences : l’intuition construit les coïncidences et en fait un hasard objectif, en imagination.

L’aviateur se retrouva seul en plein désert. Il fait alors connaissance avec le Petit Prince qui habite sur l’astéroïde B 612 (Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit  Prince). “

Il y a six ans, j'avais une panne dans le désert du Sahara. Quelque chose s'était cassé dans mon moteur. et comme je n'avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C'était pour moi une question de vie ou de mort. J'avais à peine de l'eau à boire pour huit jours. Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable à mille milles de toutes les terres habitées. J'étais plus isolé qu'un naufragé sur un radeau au milieu de l'océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m'a réveillé. Elle disait : - S'il te plaît... dessine-moi un mouton !”
L’altérité vient ouvrir l’imagination et l’intuition, en y mêlant la surprise. La rencontre de l’autre est toujours une surprise.
Le fûdo donne l’atmosphère du lieu de la rencontre. Le lieu rassemble alors les imaginaires, invitations à d’autres rencontres.
L’imagination s’échappe du Je pour atteindre le Tu, dans un jeu réciproque et intuitif.
Ce jeu est celui de la rencontre (réciproque) de l’être de l’autre, dans l’entre, comme existential de l’altérité.
Les imaginations Je-Tu se nourrissent l’une-l’autre et viennent éclore dans l’entre.
Les imaginations mêlées dans l’entre, s’incarnent dans le lieu : c’est le fûdo de l’altérité

L'imagination rend l’absence présence, après la rencontre.


Salomé, Gustave Moreau

La première rencontre n’était pas encore au rendez-vous
Elle n’était pas encore imaginée
même pas dans l’orée de l’intuition
pourtant l’autre était déjà là
quelque part
inscrit dans le présent,
Il suffisait de lever les yeux
d’écouter, de sortir de soi.

La rencontre est incarnation
D’une présence qui advient
C’est l’invention d'une nouvelle tonalité de présence
Dans une ouverture du temps, le présent éclaté

 

La rencontre est une apparition à la frange entre le réel et l'imaginaire, une interférence entre le je et le tu plongés dans une nouvelle texture du monde.

Intuition et imagination éclatent le temps, l’envolutent ; la rencontre le volupte en se faisant saveur.

La rencontre est une expérience ek-statique ou en d'autres mots une expérience “d'être-en-avant-de-soi” et en même temps “d'être-pour-l’autre” de façon à aller à la rencontre de l’être-de-l’autre.


Synthèse

Légende de la figure :

  • L’imagination imprègne les objets du monde en leur conférant un certain sens subjectif construit à partir de signes
  • L’intuition saisit les objets du monde qui font sens pour elle (cette saisie est partielle car les objets du monde sont imprégnés de manières multiples)
  • L’imagination construit toute forme d’altérité et la projette sur l’Autre ou le Tu
  • L’intuition se saisit de l’Autre en ce qu'il lui est donné dans l’immédiateté
  • Je, Tu, Autre et objets du monde sont tous plongés dans un même monde spatio-temporel et inter-agissant : l'entre.

Le propre de l’imagination et de l’intuition est de ne pas se laisser entièrement saisir dans leur genèse car ce sont des processus instantanés qui participent  à la construction et à la saisie des choses et des êtres. Ce sont toutes deux des perceptions directes (intuition) et indirectes (imagination), dans l’immédiateté du monde et des êtres-au-monde.


Henri Matisse

Le monde imaginé rend sensible la chair du monde et des êtres.

L’imaginé devient la réalité perçue. J’en ai en même temps l’intuition profonde, celle d’habiter ce monde.

L’imagination : l’impulsion créatrice, à l'œuvre dans l’initial du geste. Le geste qui se donne ensuite avec l’intuition de toucher juste.

Le canapé de Paméla

Le canapé de Paméla
Le Panapé de Caméla
Le Panala de Camépé

Est un beau canaquois
Est un nabeau est un naquois
Charmante Panapé
Charmante Paméla

Le charme de Paméla
Le charme du canapé
Il est passé par ici
Il repassera par là
C’est un nabeau c’est un naquois
Charmante Paméla
Délicieux canapé 
  Robert Desnos, Destinée arbitraire