Essai de politique

 

Considérations générales

La politique n’est pas une science, c’est tout au plus un art pratique. La politique ne peut s’appuyer sur la philosophie pour trouver des valeurs ou des principes rationnels gouvernant les hommes, car la politique est « raison pratique » elle se juge au résultat non à la « raison pure » (idéaux, théories), car elle n’a pas d’universaux. La politique est l'art de gouverner une société en un lieu donné et pour un temps donné.

Manifestation à Paris

Cependant la politique s'appuie sur des valeurs de cohésion de la société, utopies ou idéologies, mais aussi sur des modèles (capitalisme, libéralisme, socialisme, etc.). Par là on ne peut parler de « crise [1] » de la société comme on le fait systématiquement de nos jours, car cela supposerait des valeurs universalistes qui ne sont pas. Les crises sont relatives aux valeurs du moment, toujours changeantes. Une crise provient peut-être de la difficulté à décider d'une bonne politique ou d'une décroissance économique mais certainement pas d’une période de décadence sociale ou civilisationnelle. Par exemple on assiste actuellement à des "crises" de la démocratie par rapport à ses valeurs du moment, comme :

  • la montée des abstentions (qui provoque la perte de la légitimité des dirigeants),
  • la perte des schémas doctrinaux,
  • une rupture du lien politique/social,
  • la mondialisation créant le sentiment d’une érosion de la faculté de maîtrise sur le cours des choses.

La politique n’est pas lisible de l’extérieur : elle est le fait de décisions locales et éclatées. C'est une résultante de forces diverses et internes à la société, que l'histoire n'arrive pas toujours à démêler. Cette dernière ne permet donc pas une prise sûre sur les événements pour en régler l’avancée.

Considérations sur la démocratie

La politique démocratique est l’art de la conviction, de l’émotion et de la confiance. Elle est tout entière du côté de la pratique et d’abord de la pratique du pouvoir. C’est un faire qui exige un savoir-faire plus qu’un savoir. L’homme politique doit convaincre à l’aide d’arguments, d'émotions, d’opinions, de convictions, etc. et tout ceci est, encore une fois, hors de la philosophie ou de la science, tout au plus au sein de la rhétorique. De plus l’art de gouverner n’offre pas une infinité de combinaisons, les mondes possibles sont très peu nombreux à un moment donné (Aristote). Ces combinaisons résultent de surcroît de compromis et de négociations et donc la marge de manœuvre est étroite. C'est ainsi que se pratiquait la démocratie athénienne.

Plus fondamentalement, on distingue dans l'Antiquité, l’espace privé, celui de la famille où s’exerce la propriété et l’espace public, celui de la polis, domaine de la liberté. Ces deux domaines sont dans une rapport nécessité/liberté, la polis devait procurer la liberté au citoyen, ce n’était pas un moyen de sauvegarder ou protéger la société comme cela l’est devenu ensuite avec la société des fidèles au Moyen-âge, puis société des propriétaires chez Locke, société engagée dans un processus sans fin d’acquisition chez Hobbes, société de producteurs chez Marx et société d’employés maintenant. Être libre signifiait donc qu’on était affranchi des nécessités de la vie et de facto des ordres d’autrui mais aussi exempt de tout commandement (ni sujet, ni chef). Puis il y a eu l’avènement du social, entre le politique et le privé. Le domaine public est devenu le domaine commun. Le mépris du travail dans la théorie ancienne et sa glorification dans la théorie moderne s’orientent sur l’activité subjective du travailleur, tantôt se méfiant de son dur effort, tantôt exaltant sa productivité. Dans ce dernier cas la valeur n’est pas dans la chose produite mais dans le travail qu’il a fallu fournir pour la produire. La richesse d’un individu n’est pas pour Marx dans la quantité de choses possédées mais dans la force de travail de l’individu, seule chose qu’il possède véritablement en propre. Pour Locke le travail est libérateur, puisqu’il est moyen d’enrichissement qui libère à son tour de la nécessité. On voit donc que les polarités se sont inversées depuis l’antiquité.

La politique, question de morale ou de justice ? Machiavel a été l’un des premiers à séparer la morale et la politique. La morale des individus n’est pas celle du politique, leurs finalités sont différentes, le politique doit obtenir des résultats avant tout (droit et devoir du Prince). Y’a-t-il une morale du politique ? Oui mais elle se situe au niveau du commerce international, des états, des nations, etc. Ainsi la morale des mœurs ne concerne pas le Prince qui devra seulement s’occuper du bien de la Cité en tenant compte évidemment des mœurs en cours mais sans les juger (principe de laïcité). A l’époque d’Aristote l’ordre moral et l’ordre politique coïncidaient en droit, de nos jours ceux-ci ont été séparés en institution juridique et institution politique, la justice se donnant le droit de juger le politique (cour constitutionnelle par exemple). On juge le politique sur ses résultats plus que sur ses méthodes : de bonnes intentions qui conduisent à un fiasco ne valent rien. On attend donc du politique qu’il crée les conditions d’une action juste des hommes mais aussi compte tenu de l’état d’incertitude de ce qu’est le juste, qu’il le dise c’est-à-dire qu’il le déclare et qu’il l’applique.

La république. La république est une forme de démocratie qui est fondée sur la liberté des individus, leur égalité  - au sens où chacun peut intervenir dans la politique de la Cité – et un principe de cohésion, par exemple la fraternité ou la solidarité ou la fierté nationale, etc. qui permet de maintenir la cohésion de l’ensemble. Selon les époques l’équilibre entre ces trois piliers peut changer.

  • La liberté se divise en trois parties : (a) liberté de l’esprit, (b) liberté économique et (c) liberté politique. Cependant ces libertés se limitent les unes les autres et entre les individus. La démocratie se doit de protéger les plus faibles. Le libéralisme s’attache surtout au point (b) (Hobbes, Locke, Smith). Toute liberté doit être assortie de sécurité  (et des protections qui vont avec en termes de droit).
  • L’égalité pour être pleinement exercée nécessite une éducation préalable : on ne peut intervenir dans les affaires de la Cité, qu’en étant informé d’une part et formé d’autre part. A quoi servirait un avis incompétent ? Cette valeur d'égalité ne joue pas en fait sur la prise de décision mais sur l'égalité théorique en termes de droit.
  • Le troisième terme est plus volatile, il s'agit de la valeur de cohésion étatique ou sociale : les droits et devoirs de l’individu, le partage juste des ressources, la fierté nationale, l’identité du pays, etc.

Évidemment toute république porte ses propres limites en elle-même par l’un de ses trois termes ou leur combinaison. Le risque est de passer à une « hyper démocratie » qui ne limiterait plus les droits des individus par principe démocratique même - Platon l’avait déjà souligné - qui amènerait cette démocratie à une dictature (tyrannie, oligarchie, totalitarisme, etc.). En effet la démocratie, en vertu du principe d’égalité, limite la diversité sociale et culturelle, et donc la créativité politique. De son côté un excès de liberté renforce l’individualisme qui stérilise la richesse des échanges sociaux et économiques, etc. A ces maux internes de la démocratie se rajoutent des maux externes dus à son fonctionnement, comme : vision à court-terme due au renouvellement obligé du corps politique, solutions de compromis ou de compromission égalitaristes, lobbies, effets de majorité populistes, rôle des partis politiques, etc.

Pollutions, déchets

La politique actuelle privilégie la productivité (comme il a été indiqué plus haut) pour permettre une productivité toujours meilleure, l’homme est passé de l’état sapiens (la pensée, la parole, l’agir politique) à l’état faber (la production d’objets et d’outils). L’action s’inscrit dorénavant dans un processus technologique et non plus dans un projet à long terme de sauvegarde de la vie sur la planète ou de développement de l'individu.

Conclusion

Pour une autre démocratie ? La démocratie doit être un pari ni trop normatif ni trop idéaliste mais une conjugaison de principes opératoires. On n'est plus dans la démocratie athénienne ou chaque citoyen pouvait intervenir directement dans une sorte de démocratie directe. Par ailleurs les citoyens ne sont pas tous éclairés quant aux solutions, ni « raisonnables » vis-à-vis de leurs souhaits. Ils devraient ne pas chercher les conflits et posséder les mêmes valeurs en ce qui concerne la manière de vivre ensemble. et de contribuer à la vie politique.

La démocratie n’est pas une utopie mais un système institutionnalisé. Elle doit être considérée dans sa dimension de réalité et des moyens dont elle dispose : par exemple, démocratie représentative vs. démocratie  participative. Il n’y a pas non plus de démocratie si la dimension politique est placée sous la juridiction de principes transcendants (religieux par exemple mais aussi sous d’autres dogmes). La démocratie reste fragile, en équilibre instable, changeante, elle repose sur l’opinion - souvent irrationnelle - car c’est l’opinion qui donne la légitimité de gouverner. 

Les fondateurs de la démocratie insistaient sur les institutions collectives et l’engagement civique – au départ cela était d’une certaine évidence pour ceux qui luttaient pour leur émancipation. Or aujourd’hui la montée de l’individualisme est incompatible avec la difficulté pour chacun de se forger son propre jugement et de résister au pouvoir social représenté par l’opinion de sa communauté ou des médias (réseaux sociaux compris). Penser n’exige pas de méconnaître ses préférences, mais suppose de ne pas a priori enfermer sa pensée dans le cadre de références données. Il faut donc retrouver un équilibre entre éthique de responsabilité et éthique de conviction, retrouver une cohésion sociale – ce qui signifie l’aptitude au consentement, le reflux de conflits majeurs, la capacité de promouvoir des jeux coopératifs – en réduisant par exemple certains conflits de répartition ou d'injustice criante et en mobilisant les énergies pour un environnement vivable. 




[1] L’étymologie du mot krisis désigne une décision et un jugement.

[2] Les dangers en découlent naturellement : la corruption, l’individualisme aveugle, le repli sur soi. Les avantages en sont la contrepartie : la créativité individuelle, la responsabilité, l’autonomie.