Etre et temps
| Martin Heidegger |
La nature ontologique de l'être est le temps.
Pour Héraclite l'être est éternellement en devenir. Héraclite
nie ainsi l’être parménidien de la permanence : « Les choses n’ont
pas de consistance, et tout se meut sans cesse : nulle chose ne demeure ce
qu’elle est et tout passe en son contraire. » ou « À ceux qui
descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres
eaux. » ou plus prosaïquement, on ne se baigne jamais deux fois dans la
même eau qui veut dire que l’être du fleuve est toujours changeant.
Si l'homme est un « être temporel »
(inscrit dans un espace-temps) il ne l'est donc pas comme une chose ou un
animal, c'est pourquoi s'agissant de la temporalité du Dasein les
traducteurs comme François Vezin et François Fédier proposent le terme
de « temporellité » qui fait
signe vers « la manière qu’a l'être humain
d'être temporel ». Et cette manière ne se limite pas à être
simplement soumis au temps mais à être projeté vers un avenir, vers du
possible, avoir en permanence à se choisir et à répondre de ses choix (ce que
Heidegger nomme le souci).
Faisant ce constat il ne s'agit plus pour Heidegger de s'intéresser à la fuite
des jours mais à la manière dont l'homme vit sa propre temporalité « non comme un cadre externe dans lequel prendrait place la
vie du sujet mais comme une structure interne ». L’être vit cette
temporellité à travers des existentiaux ou modes d’être : être-au-monde, être-jeté,
être-été, être-vers-la-mort, être-soi, être-devant-soi, être-là-devant, être-avec,
être-dans-le-monde, etc.
L'« analytique existentiale »
prétend ignorer les choix existentiels de la vie concrète, son rôle consiste à
mettre en évidence la structure essentielle de l'existence, c'est-à-dire les
différents modes d'être du Dasein que Heidegger va décrire sous le nom d'« existentiaux », indépendamment des choix de vie, afin de les
distinguer des catégories ontologiques traditionnelles, celles d'Aristote reprises
par Kant,
qui ne concernent que les « étants » ordinaires, autres que le Dasein.
Les
existentiaux sont des modes d’être qui présentifient l’être-là ou Dasein. Ce
sont aussi les manières possibles d'interroger le Dasein. Dans
l'article Dasein sont
exposés les concepts de base : le « souci » Sorge, la « conscience » Gewissen,
l'« être-vers-la-mort » Sein zum Tode,
l'« être-jeté » Geworfenheit, la
« résolution
anticipante », Die vorlaufende Entschlossenheit,
l'« angoisse »,
l'« être-été »
qui permettent d'articuler « l'être-temps » du Dasein,
autrement dit son essence temporelle.
L’être
est ontologiquement lié au temps. Etre n’est pas un nom mais un verbe. L’être a
à être, à s’accomplir, à se déployer. Le souci est un pouvoir-être pour un but
permanent d’avoir-à-être.
- « Etant, le Dasein est jeté-là, il n’est pas amené par lui-même en son là. Etant, il est déterminé comme pouvoir-être qui s’appartient à lui-même et ne s’est pas pourtant pas donné en propre comme lui-même. Mais il n’est pas non plus l’être jeté derrière lui à la façon d’un événement déjà arrivé en fait et qui s’est ensuite détaché du Dasein. ».
- « L’être jeté naît de l’avenir ayant été (plutôt étant été) laisse aller le présent hors de lui. Cette sorte de phénomène unificateur où l’avenir apprésente en ayant été, nous le nommons temporellité. La temporellité se révèle comme le sens et le visage propre du souci. »
Ainsi la
marche de l’être le porte en avant de soi, vers des possibilités qui s’ouvrent
devant lui. La mort peut être une de ces possibilités : « la marche d’avance
révèle au Dasein, la perte dans le nous-on et le place devant la possibilité d’être
soi-même sans attendre le soutien du souci mutuel qui le préoccupe – mais d’être
soi-même dans cette liberté passionnée, débarrassée des illusions du on,
factive, certaine d’elle-même et s’angoissant :
la liberté envers la mort. »
La temporellité
rend possible l’unité de l’existence, de la factivité et du dévalement. La
temporellité constitue l’être du Dasein.
Mais la constitution d’être du Dasein
n’en demeure pas moins qu’un chemin. Le but c’est l’élaboration de la question
de l’être en général.
En conclusion : la
compréhension de l’être est la caractéristique et le fait fondamental de
l’existence humaine.
Cette compréhension est un évènement fondamental où la destinée de l’homme est
engagée. Le passage de la compréhension implicite et non-authentique à une
compréhension explicite et authentique, avec ses espoirs et ses échecs, est le
drame de l’existence humaine. La caractéristique de l’homme est posée au
départ : un étant qui comprend l’être implicitement (d’une manière
pré-ontologique) ou explicitement (de manière ontologique).
L’étude de cette
compréhension est l’ontologie, l’analytique du Dasein (de l’être-là). Il n’y a
pas de séparation entre existence et connaissance, le lien est l'expérience du vécu. L’être qui se révèle au
Dasein ne lui apparaît pas sous forme de notion théorique qu’il contemple, mais
dans une tension intérieure, dans le souci que le Dasein prend de son existence même.
L’existence
du Dasein consiste à exister en vue de soi-même. L’existence du Dasein c’est
d’être-dans-le-monde. Etre-dans-le-monde est un mode d’existence
dynamique : l’existence est faite de possibilités qui s'ouvrent ou se ferment en cheminant. Le Dasein se
caractérise non par le fait d’avoir des possibilités, mais d’être ces
possibilités.
Déjà, dans ses œuvres de jeunesse (Phénoménologie de l'intuition et de l'expression, théorie de la formation des concepts philosophiques, nrf, éd. Gallimard) Heidegger écrivait : "La réalité première, c'est le soi dans l'accomplissement actuel de l'expérience de vivre, le soi en ce qu'il fait l'expérience de lui-même. Faire l'expérience ce n'est pas prendre connaissance, c'est y être partie prenante de façon active, être préoccupé, mais de telle sorte que le soi reçoive en partie chaque fois sa détermination de cette préoccupation même. Monde alentour, monde commun et monde du soi ne sont nullement des régions de l'être, ils ne sont pas déterminés en quoi que ce soit. La réalité reçoit chaque fois son sens original de la préoccupation du soi. La préoccupation du soi n'est autre que le souci constant de ne pas dériver hors de l'origine".
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Essais poétiques sur le thème "être et temps"
Ontologie du temps
Dans le balancement des chaloupes
vides, le temps prend naissance, rythme lent par lequel s’équivalent tous les
mouvements. Le temps n’est pas la quatrième dimension de l’espace, c’est sa
démultiplication hallucinée. La mouette s’en va au loin à la conquête des mâts
turbulents et chavire pour une brindille d’étoupe. La rame s’enfonce
régulièrement dans la trame de l’eau et dialogue avec le temps. La navette et
la noria font la respiration de la lumière et dévident leur fil dans l’âme du
tisserand. Le temps n’est pas réductible à une ligne ni à une route sinueuse
dans la colline. On ne la prendrait pas dans les deux sens, le futur n’y est
pas le passé renversé. Chaque instant a une durée illimitée pendant lequel le
monde entier se défait et se refait. La mouette glisse sur des marches
d’escalier. La chaloupe roule sur des grains d’ambre.
Le temps n’est que la perception de
l’espace par son mouvement même. Il est un gaz en expansion qui explore le
volume de la cale du navire qui est lui-même voguant sans boussole sur la mer
infinie. Le temps du temps s’additionne au temps. Le temps ne se soustrait
jamais à lui-même. Dans la boule de l’univers, le temps ricoche avec la vitesse
de la lumière aux confins de l’espace. Il recueille l’ambre de lumière pour la
voile du navire sur le métier du tisserand que la mouette égrène comme un
chapelet blanc. Le temps se replie comme un livre qu’on va relire. Chaque page
s’enfonce régulièrement dans l’eau de la mémoire comme une rame. Chaque page
représente l’espace qui n’a de sens que parce que la lumière se déplace à une
vitesse finie qui donne son épaisseur au temps que je peux saisir avec mes
yeux. Ainsi dans cette circularité universelle - l’univers, la mer et le grain
d’ambre - le temps est lui-même un anneau porté par un vaisseau fantôme.
Le temps de l’avant-être
Laisse courir ton regard sur la mer
enflammée. Il y a des orgues. L’ordinaire de la nuit ne se laisse pas
surprendre, il y a des canots et les étoiles abondent. Il y a trois jours de
sucreries sur la carte de l’aube et encore cette étendue lointaine dans
l’altitude des retours. Dans les mains affamées d’espace, il est trop tôt pour
porter atteinte à l’attente nauséeuse des grands corridors. Les ombellifères se
fanent. Laisse les plaintes se déchirer aux épines du rosier et la bougie
couler dans le sentier. Il faut simplement suivre la courbe de ces mains -
criminelles de l’extase - qui moulent si bien la poterie d’ombre que laisse-moi
regarder par la serrure de la vie !
Quitte ces vêtements de terre amère au
prix de l’onde de tes paupières, respire la lenteur des abat-jours sous le
parasol des rêves comme une libellule de thym sous la chaleur accablante des
blés. Accorde ta main à la réalité des gouffres, empreinte dans la mince
pellicule des illusions. Verse des liqueurs sur l’ancre des départs qui trace
des pas sur la vie que l’on déchiffre sans boussole.
On dirait une méduse de nuit dans la
compassion des regards de l’extinction. Par la porte entrebâillée, on amène de
la cire. Prend la peine de l’anse et soude l’attente à l’amande dans les
couvertures du froid. Il en est des plus douces que des renards de minuit.
L’arc de la constellation se tend sous les rails du traîneau et l’ombre prendra
ta part d’impatience que tu changeras en alcool. Bois cet alcool lentement sur
la mer enflammée, tu dois encore transgresser le plan de l’écliptique.
L’origine de l’être
Il en va
toujours de la vie que pour peu qu’elle disparaisse, il reste suffisamment
d’aurores pour faire un nouveau jour. Dans une infinité de miroirs, un seul
arbre, il ne reste qu’à mettre la dernière main à ce paysage qui n’attend plus
que la beauté de l’inutile. Je fume une pipe en bois de rosier, un canot
m’attend sur la mer des étoiles.
On est à ce point du jour, si près de
la corniche, que l’aurore paraît uniformément verte, tandis que la mer semble
ne pas se soucier de moi. Sur les quelques roches en promontoire de
l’immensité, des mots nous invitent à nous jeter à corps perdu, à perdre pied
sans plus retenir la raison qui nous a poussés à vivre et la chasser d’un
regard.
Les vases ne sont pas encore inventés
ni à plus forte raison cette fleur magnifique et éphémère qu’ils contiennent.
La vie n’en est qu’à son commencement, elle se dessine quand la femme sort son
voile de brume. A l’enseigne de la « femme-tempête » il y a toujours
un gigantesque feu d’amour, c’est là en réalité que la femme sort son voile de
brume, qui fond plus qu’il ne s’envole. Les flammes crépitent, ce sont les
seules paroles de la nuit. On boit des liqueurs bleues, tous les interdits sont
levés un par un.
J’effeuille les mots près de l’arbre
de vie, pour une forêt de verre sur un îlot d’herbe tendre.
Incarnation de l’êtant
Une pensée de sable
au vent desséchant
La fable de
l’Histoire, une querelle de vagabonds
Et la route longue
dans l’orage.
Une perle sur la
fleur de rêve
Partition perdue dans
la mer
Grain de sable dans
la Voie Lactée.
Mémoire et conscience
s’emmêlent
L’âme de la vie au
grelot de l’espace
Dans un sourire
enveloppées.
Mais l’Esprit veille
au printemps du fleuve
Secret cadenassé dans
la cave obscure
Où travaille la
source claire.
Je suis descendu en
moi
Avec une parole de
chanvre
Pour tisser ma
présence dans l’inconnu.
Départ
Soir
cristallin à l'aurore de notre vie
regard tourné vers le ciel
et la terre d'ombre
Contraste
du temps
de l'espace en pointillés
des couleurs mauves.
Un train passe
regard tourné vers le ciel
et la terre d'ombre
Contraste
du temps
de l'espace en pointillés
des couleurs mauves.
Un train passe
c'est
l'Orient-Express
nous y montons.
Nous n'avons pas enregistré nos bagages
les paysages sont rangés dans les albums
pour l'instant nous sommes encore à quai
la fumée emplit la gare.
Les porteurs vont et viennent
c'est en fait un autre temps
mais le futur est déjà convoqué.
C'est un entremêlement de choses
un bric-à-brac de malles
dans ce déménagement impromptu
où rien n'était préparé.
Mais tu as pris tes tenues d'été
un chapeau
des robes légères
et un sourire bleu.
Il est temps de partir
le chef de gare siffle
la locomotive s'époumone
et la porte du compartiment vient de claquer.
Le temps se referme sur l'avenir
nous y montons.
Nous n'avons pas enregistré nos bagages
les paysages sont rangés dans les albums
pour l'instant nous sommes encore à quai
la fumée emplit la gare.
Les porteurs vont et viennent
c'est en fait un autre temps
mais le futur est déjà convoqué.
C'est un entremêlement de choses
un bric-à-brac de malles
dans ce déménagement impromptu
où rien n'était préparé.
Mais tu as pris tes tenues d'été
un chapeau
des robes légères
et un sourire bleu.
Il est temps de partir
le chef de gare siffle
la locomotive s'époumone
et la porte du compartiment vient de claquer.
Le temps se referme sur l'avenir
Devenir
Je suis
en devenir devant le portail de l’ancolie
Et
comme elle, elle rit.
L’odeur
de la terre m’accapare.
Elle me
porte dans ses pétales et me fait
devenir.
C’est
le temps de l’espace et du souffle.
L’autre
inspiration dans le clapotis du soir.
Elle se
donne dans un murmure
Je me
donne dans l’aube mûre.
Déploiement
J’ai brisé l’ampoule des retours et
longuement le filament a continué de vibrer dans la nuit. Il était l’aube de
mes regards. L’étoile polaire a toujours fui le soleil et j’ai brisé mon
amertume sur le mur de ton absence. Le temps s’est fait présence.
J’ai jeté ton nom dans le cratère du
volcan et j’ai vu tout un système solaire avec ses étoiles. Le manège des jours
s’est mis à tourner, le manège des nuits. Je n’ai pas eu le temps de descendre
de cette toupie étourdissante.
Mais dans le fond du puits, une seule
étoile, celle-là même qui s’est plantée dans mon regard. Elle nage vers la
grande Ourse. Heureusement que je t’ai mise dans le berceau des heures, tu
n’aurais pas ce sourire de lin ! Je ne veux plus te voir partir à l’aube. Tu me
diras tes après-midis de rêves en un instant d’abandon d’éternité.
J’ai semé de graines de vétiver chaque
parcelle de plage déserte, tes pas sont ainsi deux fois tes pas. Ainsi, depuis
le départ des oiseaux d’hiver, je compte les plumes qui me séparent des joies
qui nidifient dans notre union.
Le temps piétine
Le temps piétine
Et
nous piétinons dans la neige.
De
rêve en rêve
De
pétale en fleur et de fleur en image
L’image
du monde et le regard de l’étoile
Et
le rêve de toi.
Le
temps piétine et la route s’étire
Et
de chemins en sillons
L’ineffable
des feuilles
Qui
guident mes pas dans le soir.
Là-bas
la lune, là-bas l’écume.
Et
le bateau lent qui piétine
Au
rythme de ses voiles lentes
Dans
des pages oubliées de romans
Et
des encyclopédies mystiques.
Mais
le regard du temps est là
Dans
l’ombre et le froid
À
la langueur de la vague.
Le
voilier fait route vers l’espace
Sans
boussole et sans étoile
Pour
guider ses pas dans le rêve.
Le
temps piétine dans le temps
Et
la neige piétine dans le froid.
Pourquoi
? Pour qui ?
Pour
l’île brune sous les alizés
Où
nous aurions pu nous rejoindre
Quand
au solstice de notre vie
L’étoile
brillait sur la plage verte.
Acheminement de l’être
Douce
chapelle dans le froid, lentement le vent remonte au nord et les pensées
s'élèvent jusqu'à la fissure du sourire. Innombrables pétales, presque des
libellules d'aube, un amoncellement de pas soutient le feu du couchant dans
l'énigmatique souffle de la terre.
Il n'y a rien d'autre que la vallée,
l'échelonnement des campanules, la falaise bleue et la suprême obéissance du
jour. La vie en transhumance tinte à travers les feuilles... et sur d'écumeuses
échardes vogue la vague d'espérance qui ceint tous les visages de cette goutte
de rosée et les farde de mirages. Un halo sur les ports d'errance... Mais voilà
que la campagne revit son rêve dans un grand silence de cristal :
Etends ton
âme jusqu'à la diversité
Accorde ton
pas à la pulsation du torrent
En marchant
tu t'accomplis
Tu achèves
la lenteur
Tu deviens
Sacrifice
Tu t'oublies
dans ta propre présence
Tu
abandonnes ton sourire à une hirondelle
Et tu n'es
plus qu'un acheminement d’indolence
Dans
l'impassible d'instants éteints.
Dissonances du temps
Des gouttes d’eau sur la toile du rêve
À peine ridée par l’équerre du temps
Une main allongée sur le clavier blanc
Gammes envaguées par les remous circulaires
Et respiration lente
Si lente que le regard accouche d’une fleur
- fleur qui fustige la retombée du jour.
On s’interroge dans la métaphysique de la peur
Battue par les vents marins
Au ressac, à la torpeur aqueuse, à l’ancre arrachée
Mais la main continue de danser sur le clavier
Notes noires, changement de tonalité
Gammes envasées par la dissonance du temps
- saccade qui ralentit la terre
Une trompette marine dans le calice de la fleur
Résonne à l’intérieur de l’être goutte à goutte
Rêve à rêve comme une pendule de verre
Qui compterait les étoffes du jour sur le métier du temps
Avec la patience de l’araignée du désert
Si lente que la dune accoucherait d’une oasis
- oasis contre toute logique dénuée de sable
Pourtant le bruit des flots dans la nuit chaude
Rappelle les pêcheurs de leurs avares prises louvoyantes
Nausicaa, toi aussi étendue là, sur ces plages nues
Qui jouais de la cithare dans les cordages des bateaux
Gammes envaguées par les rythmes des rameurs
Qui ne savent pas où ils vont à la volonté du capitaine
- capitaine qui cadence la vie inconnue
Des gouttes d’eau sur la toile du rêve
Battues par les vents marins
Rêve à rêve comme une pendule de verre
Qui jouait de la cithare dans les cordages des bateaux
Avec le verbe attendre et le substantif acceptance
Dans le langage des gammes envasées dans l’âme
- au regard lent du cargo qui s’éloigne
À peine ridée par l’équerre du temps
Une main allongée sur le clavier blanc
Gammes envaguées par les remous circulaires
Et respiration lente
Si lente que le regard accouche d’une fleur
- fleur qui fustige la retombée du jour.
On s’interroge dans la métaphysique de la peur
Battue par les vents marins
Au ressac, à la torpeur aqueuse, à l’ancre arrachée
Mais la main continue de danser sur le clavier
Notes noires, changement de tonalité
Gammes envasées par la dissonance du temps
- saccade qui ralentit la terre
Une trompette marine dans le calice de la fleur
Résonne à l’intérieur de l’être goutte à goutte
Rêve à rêve comme une pendule de verre
Qui compterait les étoffes du jour sur le métier du temps
Avec la patience de l’araignée du désert
Si lente que la dune accoucherait d’une oasis
- oasis contre toute logique dénuée de sable
Pourtant le bruit des flots dans la nuit chaude
Rappelle les pêcheurs de leurs avares prises louvoyantes
Nausicaa, toi aussi étendue là, sur ces plages nues
Qui jouais de la cithare dans les cordages des bateaux
Gammes envaguées par les rythmes des rameurs
Qui ne savent pas où ils vont à la volonté du capitaine
- capitaine qui cadence la vie inconnue
Des gouttes d’eau sur la toile du rêve
Battues par les vents marins
Rêve à rêve comme une pendule de verre
Qui jouait de la cithare dans les cordages des bateaux
Avec le verbe attendre et le substantif acceptance
Dans le langage des gammes envasées dans l’âme
- au regard lent du cargo qui s’éloigne
Autre temps
Le huitième jour de la semaine, c’est
toujours, c’est jamais, c’est ce jour où nous vivons nos rêves et où la réalité
se dissout dans un grain de sable. De grandes corolles blanches écarquillent
leurs paupières dans la mer ébouriffée. Un scarabée doré en émerge et guide la
frégate qui vogue en laissant ses espoirs au port, comme des poissons volants,
aux adieux qui claquent dans les haubans. Ce sont des lettres écrites par des
mains inconnues qui ont la douceur de paroles susurrées et la saveur de femmes
abandonnées dans les îles. De belles mains tressées qui se posent sur des
lèvres de verre.
Le huitième jour est un grain de sable
dans le déroulement du programme de l’espace. Je suis né d’une coquille
blanche, j’ai vu battre le cœur du monde, de l’intérieur, par une étendue
infinie qui est venue sceller de soupirs légers mes lèvres de vaisseau ailé.
Terpsichore et Baucis sur la plage déserte. Derrière ce mur de silence, Ariane
délie la trame du temps, son vêtement défait, la nuit descend sur les
Marquises. Un roseau solitaire gémit sur l’étang endormi.
Le huitième jour n’était pas prévu, et
je ne sais pas si j’existe. Dans un grand froissement d’ailes des oiseaux
invisibles passent en cortège. Frissonnent les feuilles, s’irise l’eau
immobile, s’éveillent de nouveaux frémissements. Et de grands châteaux sortent
de l’onde. Mais tout à coup, un flot de brume engloutit les palais qui sombrent
dans l’eau qui bouillonne et ma petite sirène reste emprisonnée dans la
barrière de corail, là-bas, dans le temps indivisible que Dieu a voulu ainsi.
A la recherche du temps perdu
Personne ne
nous rendra l’heure donnée
Personne ne
nous rendra nos émotions passées
Ni nos
désirs perdus.
Tout est
maintenant figé dans la pierre
Dans la
pierre dure et calcinée.
Personne ne
redira plus tes peurs ni tes craintes
Elles sont
évanouies et n’ont servi qu’à ponctuer le temps
De gouttes
de pluie et de rêves impurs.
Aussi je
veux refaire le temps depuis le point zéro
Je veux
éclater la pierre en rivière de sable
Et marcher
dans le désert pour rejoindre l’étoile.
Là, le
sable rayé, la roche sale et le vent épaissi.
C’est dans
ce regard de feu que je retrouve le temps épuisé
Au bord du
puits asséché de mots qui me désaltéraient.
La marche
vers plus de lumière cache la lumière
Pas
aveuglants de ton incertitude
Qui
accumulent sous des dunes mouvantes
L’étincelle
du soir dans le marbre de l’attente.
Hors du temps
Voyage annoncé dans la renoncule verte,
laisser macérer.
Recette secrète, aux herbes de Provence
Aile jetée sur le vent dans un vol
surplombant
À la joie pure la liquidité de l’air
Comme une serrure ouverte au feu chauffée
Qui conduirait au cœur de l’amour.
Qu’est-ce que le temps ?
Un train qui m’éloigne de toi et qui crisse
Des gares qui défilent et qui creusent
l’espace.
Alors commencer ce voyage par le désert
S’arrêter, planter notre tente là, dans le
sable.
Creuser un trou, y mettre notre impatience
Et peut-être fleurir la rive de nos sourires
Nager entre les récifs de verre
Dans la transparence des regards de désir.
Algues qui frôlent nos corps
Flots qui coulent dans des lits de nuage
Où le temps n’a pas prise.
Le temps arrêté
De grandes voiles blanches sur la mer
A
l’aube blanche de tes regards
Les
noces de l’eau et de la terre
Le
mariage de la mer et de l’amour
Hors
du temps et de l’espace.
Pierre
blanche, pierre de lune aux orgues vertes
Algues
qui m’enlacent aux profondeurs de l’instant
L’instant
qui dure à l’éternité qui passe.
C’est
comme si nous étions arrêtés, éternels, immobiles
Et
le temps qui s’épuiserait
En
de vaines cours et circonvolutions mondaines
Qui
nous demanderait une danse
Et
nous prendrait la main…
Mais
nous n’accorderions nos faveurs qu’à l’amour
Nous
n’accorderions aucun prix au temps qui passe
Nous
n’accorderions que les instruments de nos âmes.
Dans
cette fête vénitienne où l’on jette l’anneau à la mer
Les
vrais masques tombent, baroques
La
mer est soudain domptée dans le balancement des gondoles.
Corps
à corps, bord à bord
Les
coques s’entrechoquent avec nonchalance
Et
se perdent dans les canaux de la ville.
Des
voiles blanches dans la nuptialité des sourires
Qui
convolent dans l’écume, blanche, de la mer.
Au-delà du temps
A
l'heure des scorpions étoilés
On
marche dans la rue avec d'infinies précautions
Un
pavé se soulève : c'est la nuit.
A
soi-même on fait l'aumône pour survivre
On
voit le lierre s'agiter sur les murs
La
cloche devient blanche en sonnant
Un
nouveau danger guette chaque pas.
Le
soleil n'était pas le soleil dans les gares
L’arrivée
du train : un orgue sur ses rails.
La
musique change
Plus
lente et plus lointaine : la vie.
La
chanson du matin ressemble à celle du soir
En
un thème obsédant
La
montagne se voile de plaques mauves
Dans
l'ascenseur il fait froid
Et
la mort pose des devinettes.
C'est
alors qu'on retrouve le vent de la mer
Qui
effiloche les nuages
Et
qu'on reçoit un avis personnel du Passeur.
Il
nous conduit vers l'aube.
Les
derniers oiseaux nocturnes passent encore
En
effleurant les premiers rayons, cordes de harpe
Pour
se perdre dans la chevelure blanche de la mer.
L'air
se parfume, le jour met son habit d'or
L’éternité
est en fête car l'horloge est tombée en poussière.
Temps cyclique
La
vie est-elle faite de saisons ? Saisons de roses, d'orchidées et d'immortelles.
Automne
fais-tu œuvre de changement ? Poussière d'algues qui transfigure en achèvement
factice ce bouquet de feuilles passées. Tu es le mystère, l'apparente
résignation, la réduction de l'horloge en cendres de larmes séchées. Tu es l'abolition
du temps intérieur.
Existerais-tu,
vie, sans cette succession de pas dans la neige ?
Les
bogues paraissent soudain douces lorsqu'elles s'ouvrent et que j'atteins la
lumière intérieure dans cette nuit peuplée d'étoiles et qu'en moi se ramifient
les espaces infinis sur des plaines basses.
Je
découvre l'instant dans sa dimension de verre et je marche les yeux fermés sur
cette route si longue. Bouquet de fruits dans ces îles lascives, je parcours
l'immobile à une vitesse vertigineuse sans même rayer l'inaltérable.
Instants dissous
La danse des jours, danse rituelle du temps
qui casse le corps des hommes sur l’autel des rythmes infernaux. Rythmes
sauvages et masqués qui se jouent à deux pieds dans un sur-place illogique.
Transes de la vie, envoûtements. Transes infiniment répétées dans les royaumes
de l’être. Envoûtements de la vie. Gesticulations dans les ressacs de
l’univers. Je danse avec toi, la flamme jaillit du frottement de nos corps,
elle brûle la vie et se joue du rythme sur lequel elle se joue. Nos corps
s’emmêlent, ils perdent la trace du temps et cassent l’éternité dans le
présent. Nos gestes redonnent du sens aux caresses et composent une nouvelle
transe dans l’alternance des jours et nos corps s’envoûtent pour échapper à la
transe des jours.
Temps fragmenté
Le
temps se fragmente dans la soie du soir
La
courbure du ciel s’épaissit et se tend
Le
halo de la ville se dissout dans la montée
Le long du chemin
Par les ornières creusées.
S’arrêter
au crépuscule au bord de cette mer de champs pentus
Où personne ne navigue
Et où nous sommes seuls face aux étoiles
Là
un phare et puis un autre dans la nuit
Là ta main
Là cette île qui est de chair
Et que je remonte dans le désir.
Là
la barque de ton corps
Qui
tangue et me porte
-
longue traversée
Dans
l’écume et le vent
Dans
les remous et les lames -
Et
me dépose fragile et heureux
Mouvant
et éclaté
Hors
de tout monde et de toute réalité
Mais
de connivence avec la terre enracinée et le temps fragmenté.
Ultimes instants
A
l'ombre du cri de la lampe enflammée, comme on regarde une étoile désaccordée,
tu verras les sourires du cristal. Puis dans le bleu intense de l'eau enfermée
dans la terre, tu verras le puits crépitant de vagues froides monter jusqu'à
tes lèvres ensanglantées. Une calèche passera en grand silence et tes yeux se
fermeront un instant devant l'étoile qui t'inondera de roues violentes. Les
chevaux passeront comme une écharpe dénouée et tu reprendras conscience appuyé
sur la margelle du puits qui cédera indéfiniment tandis que l'eau remontera
éblouissante.
Tu
verras à l'orée de tous les regards de l'eau, au bord de l'île des mousses, un
château dans une nasse. Tu tenteras de saisir cet impondérable filet de la
chevelure d'Ondine, mais sa tête se dérobera dans un grand battement d'ailes et
un aigle planera au-dessus de toi. Alors ta main lassée cherchera encore le
puits de l'impossible, celui au bord duquel tu ne t'étais encore jamais appuyé.
La calèche s'arrêtera près de toi et tu y monteras dans le lever du jour, au
froissement des herbes folles du sentier.
Tu
verras dans cette course sans fin des paysages de soleil, des dunes d'argent,
des mers d'alcool et tous les puits se rassembleront autour de toi en pétales
de rose. Tu cueilleras l'un de ces pétales et il en sera fini de ton obélisque
de sang. Tu te laisseras envoûter par la beauté, à une vitesse telle qu'elle
t'interdira toute saisie sur toi-même. Tous les pétales se déchireront comme
des miroirs de papier en une fine poussière de papillons qui te conduiront à la
source même du feu où toutes les étoiles s'embrasent, traînées d'étincelles qui
attirent ces papillons, le soir, et les brûlent dans le plus grand silence.
Aux yeux de
phosphore, tu verras le grand rapace étendu, tu verras le cri de pierre dans l'albumine
du printemps comme une étoile. Et cette étoile, tu l'écriras sur cette eau,
page verte égratignée. Tu étendras ton corps jusqu'à l'espace sans nombre, ton
corps de miroirs, ton corps d'arborescences figées. Tu atteindras l'indivisible
comme cette rose fanée, tête renversée sur sa tige, lorsque tu verras le ciel
chargé de pluie et qu'il te touchera de ses mains décharnées. Puis, vers
l'ombre apaisée, sur la margelle du puits grinçant, tu écouteras les troupeaux
bêlant dans le soir - si loin - le vent fraîchira et les herbes dormiront.
C'est
comme si tu partais hors de l'intendance des jours...
C’est
comme si, le pas alangui, tu passais dans ce chemin près de ta maison...
Dans
un dernier sourire à jamais figé, tu descendras enfin de la calèche et la terre
t'inondera dans l'indifférence des étoiles.
Tu déposeras
ton âme dans un écrin, un voile fait d'écailles de poissons volants
l'enveloppera et il disparaîtra comme une simple parole prononcée pour que tu
existes. Tu descendras alors vers la source des fleurs, à minuit, sur la plage,
ne laissant derrière toi qu'une rayure de sable.

