L'être
| Penser |
Intuitivement on peut dire qu’il y a de l’être dans l’être humain car il pense et pense qu'il est. Mais en quel sens ? C’est la question qui taraude la philosophie occidentale depuis l’antiquité. On peut découper cette histoire de la recherche sur l’être de la manière suivante :
- permanent : l'Être en tant qu'Être de Parménide,
- impermanent : l’être mouvant d’Héraclite,
- utopie d’être : existe-t-on ? Les Cyniques grecs, comme Diogène de Cinope
- transcendant : l’Idée de Platon et la substance d'Aristote,
- intuition mystique : l'âme chez Plotin,
- transcendance : substance chez Thomas d'Aquin,
- réflexive : le cogito de Descartes,
- apodictique et immanente : la substance de Spinoza,
- intuition de l'être comme l'infini : cf. Malebranche,
- empirique ou idéaliste : percipi* de Berkeley,
- conscience : Husserl,
- ontologie et existentiaux : Heidegger,
- existence : Sartre.
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* Esse est percipi aut percipere est une locution latine pouvant être traduite en français par « Être, c'est être perçu ou percevoir ». Elle résume l'immatérialisme de George Berkeley. Cette formule est en réalité un leitmotiv qui traverse l'ensemble de la philosophie depuis Parménide. En effet, dans son Poème, ce dernier dit : τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶναι qu'on peut traduire par : « Car le même est en vérité penser et être ». L’histoire de la tradition métaphysique occidentale est une variation sur ce même thème. "Le même est penser et être" devient une égalité uniforme esse=percipi chez Berkeley. On connaît le « je pense donc je suis » qui fonde chez Descartes l’être sur la pensée. Avec Kant, l’étant devient objet de l’expérience et l’être est défini comme l’objectivité de l’objet. Le principe suprême des jugements synthétiques a priori reformule la parole parménidienne dans la perspective transcendantale qui identifie les conditions de possibilité de toute expérience possible avec celles de tout objet possible. Il s’énonce : « les conditions de la possibilité même de l’expérience sont du même coup les conditions de la possibilité des objets de l’expérience. » le "du même coup" est une réinterprétation du "to auto" parménidien. Dans la préface à la phénoménologie de l'esprit, Hegel dit également : « l’Être est Penser. »
Nous n’examinerons ci-après que quelques concepts des dernières catégories (12-13) qui situe l'être comme un être existant et mouvant à la suite d'Héraclite, et non plus permanent et statique comme Parménide.
L'être-là (Dasein) : le moi issu de l'en-soi en toute éternité, permanent, comme posé comme valeur a priori, dans le primat de la relation sujet-objet. Objet quasi sujet qui pourrait se penser comme sujet (Hegel) et que je pourrais appréhender comme tel : la dualité sujet-objet, le sujet primal, l'objet qui ne peut se penser lui-même. L’être est un sentiment d'être, ce n'est pas un concept philosophique, mais un ressenti psychologique surtout manifesté en cas de doute dès lors que cette perception est contredite par des évènements extérieurs (Spinoza)
L’étant : est étant tout ce dont nous parlons, tout ce que nous pensons, tout ce à l’égard de quoi nous nous comportons de telle ou telle façon ; ce que nous sommes et comment nous le sommes (Heidegger). L’étant est ce qui est (personnes, objets, etc.).
L’être se trouve dans le fait d’être, il se trouve dans la réalité, dans le Dasein, dans le « il y a » (Heidegger)
Dasein (Heidegger) : est un « être-là », être présent dans le présent. Le Dasein se comprend comme « étant-le-Là » de l’être ; non point comme le lieu réceptacle de l’être, mais comme le lieu dimensionnel, l’espace de déploiement propre, le champ de manifestation et de dispensation de la présence de l’être. La spatialisation est un mode d'être du Dasein, qui est une autre détermination de son essence selon une autre formule « L'essence du Dasein réside dans son existence ». L’essence de l’étant tient dans son avoir-à-être. Le Dasein n’est pas comme un objet dans sa permanence temporelle et spatiale. « Rien n'est plus étranger au Dasein, qui n'a aucune permanence parce qu'il a, à chaque fois, à être son être ». Mais l’être de cet étant est à moi dans sa manière d’être, et ce dans chaque manière d’être. « Le Dasein est l’étant qui en son être se rapporte attentivement à cet être. Per là est indiqué le concept formel d’existence. Le Dasein existe. » « Le Dasein c’est l’étant que je suis chaque fois moi-même, dont l’être est chaque fois à moi. »
L’être de l’étant n’est pas un étant, ce n’est pas non plus l’essence de l’étant. L’être doit se révéler à lui-même à la fois en compréhension et en dévoilement. L’être de l’homme est proprement le souci, la préoccupation de soi qui doit faire émerger l’être. Cet être est transcendant. (Heidegger)
L’être-avec est un constituant de l’être-au-monde. C’est un des existentiaux défini par Heidegger. Ces existentiaux sont des sortes de facettes existentielles de l’être de l’étant. Par exemple le "on", sorte d’indéfini du soi est un existential, ce n’est pas un nous ni un moi propre, c’en est une forme dispersée. L’étant qui est essentiellement constitué par son être-au-monde est lui-même chaque fois son "là", c’est-à-dire un ici dans la spatialité existentiale du Dasein qui lui fixe un lieu ici-bas et maintenant.
L'être et le temps : l'étant, la tension du devenir, la réalisation de soi à travers l'histoire (la sienne), l’historicité et l’Histoire. Qu'est-ce que l'être s'il n'est pas pris dans sa totalité ? (Heidegger). Les sentiments sont des modes d’implication dans l’être : c’est le sentiment qui mesure l’être-au-monde. L’être est par l’acte d’être (étant), il est la fondation de l’étant. « Si l'être humain était inséré dans le temps de telle sorte que ce qu'« est » le temps peut être déchiffré à partir de lui ». Il faudrait que l'être de cet « être-là », le Dasein, soit défini selon les caractères fondamentaux de l'être du temps. Il faudrait que l'« être temporel » soit l'énoncé fondamental de l'« être-là » vis-à-vis de son être. Heidegger démontre qu'il en est bien ainsi grâce au phénomène de la « temporellité » et particulièrement, à travers la « tension » vers le futur qu'implique la prépondérance du « souci » (mot qu’il remplacera plus tard par la Pensée), car c'est ainsi que le Dasein se comprend et comprend sa vie. Le Dasein absorbé par le présent, se trouve transporté constamment dans un futur, il est poussé vers l’avenir, mais délimité par les possibilités ouvertes par l'existence passée (c’est son inscription dans l’histoire, passé, présent avenir). La « temporellité » va se présenter comme le sens ultime du « souci », autrement dit, comme le sens ultime de l'« être-là ». La constitution de l’être du Dasein est le chemin. « L’être est ce dont il y va pour cet étant chaque fois lui-même. »
L'en-soi : l'humain dans son essence pure (hors du temps et de ce monde), projection abstraite, représentation, Substance, nature propre des choses (Hegel). Pour Sartre, l’en-soi désigne le monde des choses physiques (un coupe-papier, un cendrier), monde fixe et statique dans lequel les choses ont une essence, c’est-à-dire une fonction déterminée.
Le pour-soi : pour Sartre c’est l'existence même, l'agir : mes actes me fondent, ici et maintenant, ils me responsabilisent et sont la trace et la raison de mon existence, les seules preuves de mon être existant. L’homme est donc un être pour-soi, autrement dit sans essence, il n’est qu’une existence libre jetée dans le monde. C’est à lui de se construire une essence. L'existentialisme sartrien est résumé par la célèbre formule : « l'existence précède l'essence », c'est-à-dire que chaque individu surgit dans le monde initialement sans but ni valeurs prédéfinies, puis, lors de son existence, il se définit par ses actes dont il est pleinement responsable et qui modifient son essence. Il y a une différence essentielle avec Heidegger qui considère qu’existence et essence émergent simultanément et se renvoient l’une à l’autre.
Le néant : l’idée du néant absolu, entendu au sens d’une abolition de tout, est une idée destructive d’elle-même, une pseudo-idée, un simple mot (Bergson). Il y a impossibilité à penser le néant. Pour Heidegger en revanche, il y a un accès au néant qui est un accès non intellectuel : c’est l’accès à la mort dans l’angoisse ; le néant est accessible dans l’angoisse qui en est l’expérience. Le néant est pensable dans la mort mais la mort reste impensée même à travers l’angoisse (l’angoisse ne permet pas de penser la mort). Le commencement n’est pas le néant, car il doit devenir quelque chose, pourtant c’est un néant dont il va sortir quelque chose et l’être est déjà en lui (Hegel). Il n’y a pas de néant absolu, être et néant ne sont pas séparables, ils sont identiques dans le devenir. L’être est toujours à-être ainsi que le néant.
L’être et la spatialisation : Pour Kant l’espace demeure condition de représentation de l’étant et implique, à ce titre, une subjectivité. L’essence mène son train de présence comme ostentation ou phénoménalité ou apparaitre et, à ce titre précisément, requiert un sujet en guise de conscience et l’investit comme voué à la représentation. C’est l’objectivité de l’essence. L’espace ou extériorité est nécessaire à l’objectivité, car il est nécessaire à l’apparoir, comme distance emplie de lumière, comme vide de la transparence. (cf. Heidegger et la clairière de l’Ouvert, la tâche de la pensée). L’être a besoin d’espace pour se déployer et non pas seulement de durée.
L’être et la représentation : tout le subjectif est, pour Brentano - repris par Husserl - soit représentation, soit fondé sur la représentation. Le dévoilement demeure l’évènement de la spatialité et la mission du sujet. Mais le sens de l’espace s’épuise-t-il en transparence et en ontologie ? Est-il rivé à l’Essence et à l’apparaître ? Ne comporte-t-il pas d’autres significations ? Trace d’un départ, figure d’un irrécupérable passé, égalité d’une multiplicité, homogène devant la justice, ces significations ne se laissent pas interpréter à partir du dévoilement. Et sans doute avant elles, l’ouverture de l’espace signifie-t-elle le dehors où rien ne couvre rien, la non-protection, l’envers du repli, le sans-domicile, le non-monde, la non-habitation, l’étalement sans sécurité.
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