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| Lao Zi |
Pensée chinoise
Le Dao (ou Tao) = la voie, c’est-à-dire le « comment ». Les chinois se sont plus intéressés au comment (le processus, la manière, la pratique) qu’au quoi (l’être, le monde, les connaissances) contrairement aux Grecs. L’essentiel n’est pas de savoir où l’on va mais de marcher convenablement. C’est le chemin et non le but qui compte.
La pensée est le courant même de la vie, l’esprit ne fonctionne pas détaché du corps, il y a une sorte de spiritualité du corps, avec une sublimation possible de la matière physique. Pas de dualisme en Chine. Il y a le qi (énergie vitale, souffle) à la fois esprit et matière, qui assure la cohérence organique des vivants.
Dans cette ligne de pensée il n’y a pas de séparation entre le transcendant et l’immanent (le Ciel ne signifie pas Dieu mais Univers) : il y a une complémentarité entre le virtuel et le manifeste, perçus comme deux aspects d’une même réalité. D’ailleurs le binarisme n’est pas compris comme tel en Chine ancienne, ce n’est pas ceci ou son contraire mais les deux à la fois dans leur complémentarité (Yin et Yang), ou leur ambivalence. Ainsi le « vide » (ce n’est pas le Néant dans l’esprit chinois) est-il nécessaire au « plein ». On a donc des couples plus que des opposés : Ciel-Terre, vide-plein, esprit-matière, etc. Il s’agit dans l’idéal de rester au centre (on pourrait dire aussi au « cœur »), c’est cela le Dao.
La pensée chinoise ne procède donc pas de manière linéaire ou dialectique mais en spirale et en détours. Elle est plus de l’ordre de la sagesse (bons comportements) que de la philosophie (bonne formation des concepts).
La vision du monde est une vision continue qui n’opère pas de distinction sur des ensembles d’entités discrètes ; c’est plutôt un réseau de relations entre parties et tout.
La liberté n’est pas non plus le « libre arbitre » des occidentaux mais un accord parfait avec l’ordre des choses, dans leur mutation perpétuelle. La morale n’est pas de type chrétien basée sur le sentiment ou l’émotion [1] mais de type rationnel : la morale est utile pour vivre ensemble et partager des ressources naturellement limitées. La morale est devenue une nécessité depuis que le nombre d’individus sur terre a grossi ; avant, les ressources étant facilement accessibles, une sorte d’Eden était possible : vie en petits groupes, cueillette. Il y a en Chine une recherche de cet état originel (surtout dans le Taoïsme). La morale n’est donc pas naturelle, car sinon il n’y aurait pas besoin de la cultiver ou de la contraindre par des règles.
Il n’y a pas de dieu(x) en Chine, le Ciel est indifférencié et vide (l’essence au sens occidental), la Terre est le séparé et le concret (la substance au sens occidental). L’Homme est engendré par le Ciel-Terre. La culture est plus tournée du côté des hommes (éthique, politique) que des dieux (religion, culte).
1. Humanisme
confucéen
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| Confucius |
Fondé sur les rites [2] sociaux et les règles morales. Ces règles sont utiles à la vie en société, elles ne s’appuient pas sur les notions de bonté ou d’amour chères au christianisme, mais sur la notion de vertu individuelle et de noblesse du cœur. Ainsi la politique devient éthique, chercher la stabilité par et pour le bien de tous, tout en maintenant une hiérarchie des rôles et des pouvoirs de type aristocratique. La notion de « vertu » est à prendre dans le sens de charisme, c’est-à-dire « qui entraîne par la valeur de l’exemple » et non par des qualités extraverties particulières (cela n’est pas à opposer pas au vice comme dans le christianisme)
L’homme est perfectible et peut s’améliorer. L’éducation et l’apprentissage sont des moyens pour y arriver. Il doit cultiver les valeurs de compassion, de générosité, de justice et maintenir la voie du Milieu (recherche d’équilibre entre des extrêmes). Apprendre c’est apprendre à être humain, car l’humanité n’est pas donnée, elles se construit. Mais l’homme est originellement « bon » c’est-à-dire qu’il a les moyens de développer la vertu qu’il porte en lui. On aboutit donc à une sorte d’humanisme (de type aristocratique en politique). L’homme doit chercher à se dépasser et dépasser son ego à travers sa relation à autrui. Il doit devenir un homme de bien et un Prince (déférence, grandeur d’âme, honnêteté, diligence et générosité). Il y a une corrélation entre esthétique et éthique (la musique est d’ailleurs un moyen de se perfectionner).
2. Utilitarisme
moïste
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| Mozi |
Est une réaction au confucianisme : l’homme est tel qu’il est, il n’est pas moral par nature, ses relations aux autres sont fondées sur l’intérêt et il en recherche l’efficacité. C’est une vision centrée sur l’individu autour duquel la société doit s’autoréguler. On aboutit à une sorte de morale de la réussite par l’effort (et non plus sur le rang ou la naissance). La politique doit développer l’équité (à chacun ce qu’il mérite) mais en évitant la compétitivité excessive qui conduit au désordre. C’est une morale de l’ « utilité » imposée de l’extérieur à l’homme et non portée par lui. On aboutit donc à une sorte de capitalisme/libéralisme en politique avec l’idée cependant de limiter et de contrôler l’égoïsme individuel. Il faut des lois qui garantissent le bon gouvernement indépendamment des qualités des hommes qui sont au pouvoir. Cela conduit à un Etat constitutionnel et bureaucratique (car il y a nécessité d’avoir un niveau de contrôle pour faire respecter les lois et donc des lois pour ceux qui font respecter les lois…).
3. Pragmatisme
taoïste
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| Tchouang Tseu |
L’univers n’est ni bon ni mauvais. Il fonctionne selon des règles immanentes non-humaines et évidemment incontournables. L’homme n’est donc pas plongé dans un monde moral, il n’est pas lui-même moral ou immoral, tout est amoral en lui comme autour de lui. Les événements et les structures résultent d’une émergence complexe. Il s’agit donc d’aller dans le sens naturel contre lequel il ne servirait à rien de s’opposer, de suivre le cours des événements (aller dans le sens du courant, ne pas ramer à contre-sens au risque de se fatiguer puis de se noyer). Il s’agit de se préserver et de garder sa vitalité. Exclure toute violence ou agressivité, privilégier les valeurs féminines (l’eau qui épouse le lit de la rivière mais qui finit par l’apprivoiser), ne pas imposer son « moi ». Le Tao prône la spontanéité c’est-à-dire la prise de décision par l’intuition plus que par une connaissance raisonnée, c’est le non-agir (qui signifie ne pas s’opposer et non pas ne pas agir). Il s’agit d’aller à l’encontre des habitudes intellectuelles conventionnelles en examinant la chose et son contraire en privilégiant le faible au fort, le non-agir à l’agir, le féminin au masculin, le dessous au dessus, etc. et de rechercher dans la chose le germe de son contraire. Dans ces conditions il faut relativiser la puissance du langage et ne pas tomber dans les pièges de la logique et de la pensée. Le langage est seulement un outil.
On aboutit à une sorte de constructivisme, c’est la voie du centre, être à l’écoute des émergences et se centrer sur elles. Trouver sa propre « centralité », aller au cœur des choses et de soi, fusionner avec le Dao, maîtriser le qi.
4. Bouddhisme
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| Bouddha |
Tous nos maux viennent des désirs car ces derniers sont la cause des actions (karma) dont les effets nous enchaînent à notre dharma (la roue du destin et des réincarnations successives). Il faut les supprimer où à tout le moins les dominer pour trouver l’Eveil (sorte de bonheur par la négative). Il en résultera un état d’illumination permanent et la fin des réincarnations qui ne sont que souffrances terrestres (le Nirvana est le retour dans l’indivisible et l’indifférencié, ce n’est pas le paradis des chrétiens). Ainsi le bouddhisme prêche la libération par le renoncement, la compassion, la vacuité. Le « moi » est une illusion. Il s’agit donc de se détacher de soi et du monde. Pour cela quelques techniques comme la méditation et le yoga sont enseignées et pratiquées dans les monastères.
On distingue deux branches essentielles : (a) le Grand Véhicule (Mahayana) qui s’adresse à tous et qui pense qu’on peut trouver l’illumination de manière soudaine et spontanée indépendamment des valeurs morales (chacun possède la bouddhéité en soi) et (b) le Petit Véhicule (Hinayana) qui pense que l’illumination n’est réservée qu’aux moines après un long travail de purification et d’ascétisme. Ainsi le bouddhisme est-il une doctrine du salut, thérapeutique et sagesse à la fois, fondée sur un idéal de compassion (qui ne signifie pas pitié ou partage des peines puisque chacun est responsable de lui-même, mais ouverture aux autres et écoute positive).
Le grand véhicule s’est développé en Chine sous le nom de Chan (Zen au Japon). A bien des égards le bouddhisme se distingue du christianisme, en particulier sur la question de l’ « amour des autres » qui n’a pas de sens ici, ni sur celle de résurrection à la fin des temps ou de paradis.
5. Croisements
Différents syncrétismes se sont formés sur ces quatre piliers au cours de la longue histoire chinoise, avant l’arrivée des modèles occidentaux au XIXème siècle :
- Le confucianisme légiste a conduit aux concours des mandarins qui joint la noblesse humaine et le mérite ; ainsi pouvaient être promus comme fonctionnaires des gens méritants de couches sociales inférieures. Ces fonctionnaires ont gouverné et administré la Chine pendant 20 siècles sur des principes moraux qui même s’ils ne sont pas naturels sont au moins culturels.
- Le bouddhisme de son côté, a profité du taoïsme moins extrémiste que lui en créant le Zen qui a ensuite été exporté en Corée et au Japon. Les deux courants se sont rejoints essentiellement sur la question du « détachement », qui commence par un « lâcher-prise », de l’esprit libre qui vit en parfaite unité avec lui-même et avec toute chose, jouissant ainsi d’une grande plénitude qui lui confère une grande puissance voire une dimension cosmologique et spirituelle.
Il est ainsi resté en Chine essentiellement deux grands courants : un néo-humanisme rationaliste confucéen et un néo-taoïsme spiritualisé.
6. Quelques traits de comparaison entre philosophie chinoise et philosophie occidentale
d'après François Jullien
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CHINE
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OCCIDENT
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Attitude
allusive
Relève
d’un détour, ne renvoie à aucune abstraction métaphysique
Echappe
à la détermination concrète
Esquisse
Evoque
l’absence, procède par non-dits
N’essentialise
ni le vide, ni le néant.
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Attitude
symbolique
Propose
une image sensible d’une réalité idéelle (ex. l’oiseau comme symbole de la
liberté)
S’appuie
sur l’imaginaire ou la conscience
Favorise
l’existence
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Attaque
de biais
Usage
de l’implicite et d’expressions détournées en diplomatie
Convaincre
plus que vaincre
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Attaque
de face
Armée
contre armée
Force,
violence, gloire, passion
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Efficience
Elle
est dépersonnalisée et découle discrètement du processus de maturation engagé
dans un rapport de conditions à conséquences. Evaluer le potentiel de la
situation pour la transformer insensiblement mais inéluctablement à son
profit.
Requiert
une intelligence de l’indiciel, des tendances qui ne font que s’amorcer
Pratique la veille
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Efficacité
Efficacité
personnalisée, fruit d’un affrontement.
Mettre
en œuvre des moyens pour obtenir une fin, s’inscrit dans une logique de la
modélisation.
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Bonheur
comme fruit récolté
Nourrir
sa vie à l’écart du bonheur conçu comme un but. la « joie » peut
s’éprouver dans l’instant et se cueillir comme don.
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Bonheur
comme valeur
But
suprême, théorisé à partir de l’idée
de finalité et qui a pour support « l’âme apte à contempler ».
Le
bonheur est lié au destin.
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La
vie comme potentiel vital
Une
recherche de la longévité, qui en particulier implique une médecine préventive.
Privilégie une vision globale de l’homme en comptant d’abord sur la
régulation de la vitalité.
Repose
sur l’expérience et l’intuition.
Rétablit
l’équilibre du corps pensant.
Met
l’accent sur la capacité de vie dont nous sommes investis.
Idée
de la vie comme évolution en retirant la pensée de la destination.
Nourrir
le vital.
Pensée
des processus à l’aise dans la transition continue par laquelle la
transformation advient.
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La
vie comme finalité
Se
pose la question du sens de l’existence, de l’éternité, de l’être
Le
corps performant.
La
médecine curative est tournée vers l’affrontement et la victoire sur la
maladie.
Se
pose la question du sens de l’existence, de l’éternité, de l’être
Le
corps performant.
La
médecine curative est tournée vers l’affrontement et la victoire sur la
maladie.
Fractionnement
du corps, approche analytique pour avoir la connaissance à partir d’une unité
originelle telle la cellule ou l’organe.
Se
centrer sur l’organe malade et la cause possible.
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Intégration
dans l’harmonie
Logique
d’intégration (dans le milieu d’appartenance : la famille, la
corporation, le cosmos).
Culte
de la filiation-imitation.
fait
barrage à l’initiative du désir se posant insolemment comme tel
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Domination, désir
Logique d’émancipation (maîtrise du monde, de la nature, du
cosmos)
L’idéal est un idéal branché sur du désir individuel
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Le
lettré chinois marche dans le sillage de ceux qui l’ont précédé
Propose
de s’entraîner en imitant, d’assimiler le savoir tel qu’il est constitué.
Penser
ne consiste pas d’abord à faire valoir quelque négativité mais invite à
entrer dans un processus en cours.
Se
méfier de tout conflit entre sens et réalité.
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Le lettré occidental recherche la nouveauté, l’originalité,
la rupture
Le doute comme rupture, arrachement, refus de ce qui
précède et quête d’une forme de nudité intellectuelle.
L’innovation perpétuelle
Met en question la connaissance sensible (nos sens nous
trompent)
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J’ai
entendu dire que…
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Je pense que...
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Le
sage ne bloque sur aucune position.
Il
est « sans moi » et donc ouvert à tous les possibles.
Il
est en phase avec ce qui vient.
il
est aussi intransigeant que les plus intransigeants quand il le faut également et tout aussi accommodant
que les plus accommodants quand il le faut également.
Le
point de vue du sage est d’englober tous les points de vue. Il se maintient
ainsi disponible
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Le philosophe cultive son moi, s’engage.
En supposant l’instauration d’un plan des idées, il
argumente. Il veut convaincre, s'imposer.
Le philosophe est critique il cherche à se démarquer. Il
cherche à théoriser, à créer des systèmes.
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Le
corps
Le
corps humain, à l’unisson du paysage est parcouru d’un souffle qui l’anime et
le fait vibrer. L’un comme l’autre sont des phénomènes saisis en
transformation entre le visible et l’invisible. Ils ne sont jamais figés.
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Le corps Il s’est développé l’art du Nu. Le Nu interroge :
qu’est-ce que l’homme ? Dans sa généralité en ôtant toutes ses qualités secondes d’époque ou de
classe que sont les vêtements.
Déshabiller, c’est abstraire. Dans l’art, le Nu, représente
un arrachement à la naturalité qui aboutit à une forme modélisée (idéale)
immobilisant le corps et neutralisant ces deux opposés que sont le désir de
la chair et la pudeur de la nudité.
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L’élévation
intérieure se fait sans rupture avec l’expérience.
Il
n’y a pas d’ordre éternel ni de tension vers l’idéal.
Recherche du "comment", de la bonne manière Logique du complémentaire
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Quête de L’être, de la fin, souci d'être Développement de la connaissance qui n’est jamais
satisfaite
La liberté comme raison d’être
Recherche du "quoi", du "pourquoi" Logique de l'opposé et du tiers exclu
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La voie, le ciel, le feu, la terre
L'automne, le mûrissement
Le regard intérieur
Le temps de sentir le temps qui s'écoule
Les raisins gorgés de sucre
Les rayons obliques du soleil
Le couchant
L'automne : en accepter la nostalgie
L'automne : les odeurs qui montent de la terre
Les pieds qui foulent le tapis de feuilles mortes
La lumière oblique
Et mon regard vers le ciel
Qui sait par le repos passer peu à peu au clair
Et par le mouvement du calme à l'activité ?
Quiconque préserve en lui une telle expérience
Ne désire pas être plein
N'étant pas plein, il peut subir l'usage et se renouveler (Lao-Tseu)Eclats
Vers le vide et la vacuité
Des pétales blancs sur la neige blanche
L’enfantement de l’hiver : le rire du printemps
Faire des mots dans l’amour
Faire l’amour dans des mots
Double engendrement
Même déploiement
L’oiseau c’est l’incarnation du souffle
Le souffle c’est l’incarnation de la vie
La vie c’est l’incarnation du rêve
L’étonnante rumeur de l’être dans l’amour
Je cherche mon extrême à la pointe de tes seins
Une ruche verte et un cheval blanc
Dans la Grande Union le temps s’arrête