L'espace de la parole


Le Dire, le Dit, la Dite


Heidegger : Acheminement vers la parole 
Le chemin vers la parole a toujours son unique site dans le déploiement de la parole même. La mise en chemin délie la Dite en parler. La Dite, n'est nullement, après coup, l'expression en paroles de ce qui apparaît ; c'est bien plutôt tout éclat - qu'il paraisse ou qu'il échappe - qui repose dans la montrante Dite. Le chemin vers la parole se déploie dans la parole elle-même. Le chemin vers la parole au sens du fait de parler, c'est la parole en tant que Dite. La parole est la maison de l'être. Il s'agit d'expérimenter dans l'entrelacement de la parole le lien qui la délie.
“Parler à partir de la parole et dans la parole c’est entendre parler la parole, autrement dit l’écouter. Ce n’est pas l’homme qui parle, c’est la parole elle-même, qui suit ce qui se déploie dans le Dire, qui à son tour tire sa source de la Dite un jour parlée et, jusqu’à ce jour, encore imparlée, qui traverse le tracé-ouvrant de la parole. [...] Dans la parole en tant que Dite se déploie le chemin, et la Dite nous fait atteindre.”

“L’essence de la parole est dans le fait de parler, comme ce qui vient à l’existence en tant que ‘dire’. Hors contexte sémantique, la parole en entier a pour éponyme la Dite (die Sage). Cette dernière n’a rien de commun avec une quelconque généralité de la parole en tant qu’elle est ‘ce que l’on dit’ ; au contraire, il faut entendre ce mot dans son acception pleine et entière comme la ‘monstre’ (au sens plein de monstration, die Zeige, que l’on retrouve dans le latin pronomen demonstrativum, ce qui se déploie dans la parole).”

“En laissant parvenir la Dite au Parler, le chemin devient Ereignis.”

“Le Dire tire sa source de la Dite encore imparlée”

Heidegger : Expérience de la pensée
Nous ne parvenons jamais à des pensées. Elles viennent à nous. C’est alors l’heure marquée pour le dialogue. Il rassérène et dispose à la méditation en commun. Celle-ci n’accuse pas les oppositions, pas plus qu’elle ne tolère les approbations accommodantes. La pensée demeure exposée au vent de la chose. Dans de tels échanges, certains peut-être s’affirmeront comme des compagnons dans le métier de la pensée. Afin qu’un jour, sans qu’on ait pu le prévoir, l’un deux se révèle un maître. Ce caractère de la pensée, qu’elle est œuvre de poète, est encore voilé. Là où il se laisse voir, il est tenu longtemps pour l’utopie d’un esprit à demi poétique. Mais la poésie est en vérité la topologie de l’Etre. A celui-ci elle dit le lieu où il se déploie.

En d’autres termes : la parole se déploie, la Dite est la mélodie silencieuse inscrite dans l’être, le déploiement résultant de la parole, du Dire (le Dire est l’acte d’énonciation). C’est le cheminement de la parole dans l’espace intérieur de l’être. La parole ouvre la Dite dans l’espace extérieur et advient le Dit comme réalisation de l’être, force de vie lovée dans l’être qui se déploie et se faisant, dévoile l’être de l’étant.
L’espace de la parole est transcendant à l’être. Il n’est pas matériel, c’est l’espace de déploiement de la parole, elle-même transcendantale dans la mesure où elle porte l’être,

L’être-du-dehors est ce qui tire vers l’ouvert de la parole,

La parole est à la fois l’être de l’être-du-dedans (dans l’espace intérieur) et l’être de l’être-du-dehors (dans l’espace extérieur),

La parole intérieure n’est pas la pensée : la parole intérieure c’est ce qui chante en soi. La parole extérieure est le chant du monde.
Mais Heidegger laisse la porte ouverte aux interprétations… et nous laisse ainsi un espace poétique.
La Dite chemine dans l’écoute
La Dite encore imparlée est l’in-dit
Faire parler l’in-dit sans rien dire.
Etre à l’écoute de cet imperceptible de l’avant

Le logos met de l’ordre dans le désordre
retrouver une route dans les broussailles
relier les idées et pour cela
mettre des tatouages sur le corps des textes
les découper en tas de petits papiers, à ré-assembler en chemins de lecture disposés sur nos corps nus.

Des post-it qui nous en indiquent les chemins sensibles
Les dunes et les oasis où l’on vient s’abreuver

La Dite silencieuse s’imprègne de l’autre, à l’insu de l’étant.
La Dite du Deux se source dans le regard-Deux et le co-penser, au gré des chemins intriqués
Source qui ne se sait pas, l’in-dit du Deux

Mais l’in-dit du Deux est en réalité un oxymore
car l’in-dit est le frémissement d’avant l’avant
l’avant de ce qui ne se sait pas, qui peut-être ne sera pas
en dehors de la conscience, il est le pouvoir créateur de l’être
par lequel la Dite inaugurera le mouvement du Deux

Le Dire dévoile le Deux en sa nudité
puis le Dit du Deux devient source cristalline



La Musique est le Dit du monde

Ecouter le Dit du Monde
Dans l'Etre
Ancrés
Dans la puissance du Son vibrant
Qui est le cri de la terre

Le Sang
La Chair
Et la Terre
Unis dans la Mystique de l'Amour
Dans le chant de l'étant de l'être

N'apporte rien il y a du pain et des fruits
Apporte ton amour
Apporte ton Dit
Apporte ta présence

Redire le Dit ?
Mais il n'y a pas de reDit ni de redite
Car le Dit est toujours origine
Redire le Dit n'est jamais une redite

Ensemencer la Pensée
Approfondir le sillon
Aller chercher au fond de soi-terre
L’être de l'étant à travers le Dire

Dans le déploiement du dire


La Dite (substrat, fond)
Le Dire (processus de mise au jour de la Dite, sorte d'acte d'énonciation)
Le Dit (énoncé, résultat du Dire)
Là s'arrête la phénoménologie, mais le Dit a des effets en tant qu'existant au monde et là commence la philosophie du langage en tant que Dit dans son acheminement vers l'autre et ses effets en tant qu'acte dans le monde

Il y a le Dit en tant que processus de pensée, celui-là est toujours légitime, il y a le Dit pour l'autre... qui rentre ainsi dans l'aire de l'Ethique, ce qui, en particulier, soulève le problème de la légitimité du Dit (et donc du Dire comme acte-au-monde)

"L'être se déploie dans l'étant par la pensée.La pensée n'est pas limitée par le langage, elle sculpte son langage par la poétique s’il le faut". Heidegger

Au fond du Dire
Il y a la Dite dont le Dire s'alimente
Pour pétrir le Dit

La Dite pensée
Le Dit en pensée
Dire et penser

Parole intriquée au dire
Le dire à la pensée
Et la pensée à la parole

L'intériorité n'est pas un lieu secret quelque part en moi : elle est ce retournement où l'éminemment extérieur fait, infini, exception à l'essence, me concerne et me cerne et m'ordonne par ma voix même. De soi le Dire est témoignage, quel que soit le destin ultérieur où il entre à travers le Dit dans un système de mots. E. Levinas, Autrement qu'être [1]

 

Les intervalles du Dire


Coupures dans la continuité du Dire, ou silence nécessaire dans le rythme
Tout chant commence et se termine par un silence
Alchimie de l’écriture, lente et patiente
Intervalle provoqué vs intervalle ressenti
L’intervalle est une rhétorique, une mise en attente, une respiration

Le Dire est toujours en avant de l’être
Le Dire se recueille, fait silence, met un point-virgule à la phrase, prends son inspir
Le Dire se concentre pour ressurgir
La Dite emmagasine, se love, s’enrichit
Le Dit s’épanche, coule lentement en flots discontinus

Un peu de neige parfois sur les fleurs en avril n’arrête pas la course du printemps vers la lumière.

La temporalité de l’écrire à Deux émane d’un savant alliage des temporalités de l’un et de l’autre, dans le respir à Deux qui s’accorde au début de chaque chant.
Des chants aux tempo différents s'enchaînent, les transitions ne sont pas connues à l’avance
Le cueillir de la présence s’en-rythme au soi et à l’autre, d’un pas léger

S’installer dans le temps long, la marche des mots, leur lente transformation

La poésie se fait dans la clairière et ses climats
L’écriture poétique et alchimique
au tempo de l’alchimie, car le Dire est alchimique, il recherche l’or du Dit.


Quand l’être devient-il être ? Et quand l’être est être qu’est-il exactement ?



Le déploiement du temps de la parole : le Dit, objet déposé dans l’espace de l’interlocution, participe à l’histoire de l’être. Le Dire est toujours instantanéité, il est sur le mode présent, il se déploie par la pensée. La Dite est la trace du Dire. Le Dit est le fil qui s’allonge et se déploie dans le temps.

Le Dire c’est l’être-là, le déploiement de l’être ici et maintenant, dans son éphémère de l’instant. La Dite n’existe pas en dehors d’un Dire qui la réactualise par la lecture ou la pensée, mais c’est alors la DIte du nouveau Dire, et elle n’existe pas non plus. En somme la Dite est l’illusion d’une transmission. Seul le Dire participe de l’étant. Telle l’empreinte d’un pas sur un chemin, la Dite suggère la possibilité d’un Dire elle est comme l’être de l’étant.

La pensée n’a pas d’origine. C’est une émergence, une énaction. Elle prend sa source en elle-même et s’alimente d’elle-même par le langage et la parole. Elle se déploie par et dans l’étant. La pensée se pense au présent, c’est un Dire. Un souvenir est un objet de pensée qui se reconstruit au présent. Rappeler à soi une pensée c’est penser à nouveau, c’est un Dire sur une Dite. Penser est une activité jetée-là dans un Dit. Penser est un Dire.

Le temps ne peut se penser car le temps n’est pas un concept mais seulement une donnée sensible qui accompagne un phénomène. Penser procède de l’espace et non du temps. Les pensées ne sédimentent pas ; elles ont l’éclat du vivre, la pulsation de l’exister.

Paradoxe de l’état d’être : dans la permanence pour qu’il soit mais dans l’instant pour exister. L’être et le non-être coexistent. L’être se perpétue, car hors du temps il ne peut être. Il est l’étant toujours en état d’équilibre et d’instabilité. Le non-être est aussi institué en figure d’être. C’est une sorte de négatif de l’être (non une négation) contenu dans l’être. Le Dire est la parole parlante de l’être, le Silence celle du non-être.

Le déploiement de l’être : l’être n’est qu’une émergence comme un battement d’ailes de papillon dans le silence, comme le vent dans l’air. C’est-à-dire le mouvement dans l’étant. L’être dans la non-dualité n’est qu’une émergence de cette non-dualité, une sorte de frémissement d’être. De la même essence. L’être et le non-être sont dans la même respiration, inspiration et expiration.

L’expérience est la seule méthode (voie) de l’être. L’être ne peut se déployer que dans l’expérience. C’est une confrontation, c’est dans l’instant, c’est dans l’agir, c’est dans le déploiement. Il y a une infinité de chemins. Le chemin poétique est une expérience de déploiement de la parole donc du déploiement de l’être par la parole. Le dialogue est dans la dualité tandis que le chant (poétique) est parole non-duale, onde qui se mêle et épouse les vibrations du monde. Mais il y a d’autres déploiements, à travers la sensorialité notamment comme à travers l’expérience amoureuse.
« La loi du Destin est cela : que Tous s’expérimentent. Que si la paix revient, également une parole soit. » (Hölderlin)
L’être de l’homme est-ce sa pensée ou sa pensée pensante ? La pensée et l’expression poétique sont dans deux voisinages duaux (Heidegger). La pensée est au dit ce que la poésie est à l’être. La pensée est représentation c’est un non-être, la poésie est vision, c’est un être. Le dialogue de la pensée et de la poésie. La parole fait naître les choses. Elle n’est pas désignation ou dénomination. Elle fait émerger le monde dans son bruissement naturel. La parole, le mot, le dit n’ont pas d’être. Ils donnent et engendrent l’être. Le non-dit n’est pas un non-être, c’est l’indit qui est de l’ordre du non-être. Dire signifie faire apparaître (faire naître), libérer, faire passer du non-être à l’être. L’essence du dire, de la parole, est dans son déploiement. Considérer la parole non comme un objet produit par un sujet parlant mais le contraire : la parole transformant le sujet parlant en objet. La parole devient sujet lorsqu’elle se déploie, la chose produite devient l’être, c’est à dire le disant.

L’être est là dans la page blanche
Des mots encore à écrire
          Dans le vent
Un souffle encore à inspirer
          Dans la terre
Où toutes choses s’enracinent
          Dans l’amour
Qui caresse une silhouette.
          Et puis la page se remplit
Le vent se lève
La terre porte et enfante
L’amour éclate.
          Et puis la page devient livre
          Et puis le vent devient tempête 
          Et puis la terre se couvre de forêts
          Et puis l’amour devient extase dans son propre Dire.



   Couleurs
           Jeux
                  Facettes
                             Cubes
                                         Éclats
                                                     Grains
                                                               Parcelles
                                                                          Chemins
                                                                                       Baisers
                                                                                                 Caresses
                                                                                                              Fragments
                                                                                                   Morceaux
                                                                                             Vies
                                                                                  Danses
                                                                         Fleurs
                                                               Pétales
                                                  Pistils
                                    Poussière
                       Molécules
           Atomes
   Vide

Le vide, dernier mot de cette suite, est-il décomposable en unités plus petites ?
Le vol des oies sauvages ne laisse pas de trace dans le ciel. Ce que l'on voit c’est le Dit du vol et non la Dite. Le vol lui-même en est le Dire.

Le Dire du Deux


Dans l’être du Deux il y a le Dire
Le Dire du Deux
Le poème, création dans le Deux
Qui s’augmente des entrelacements des ajouts de l’un et l’autre,
Le poème est le Dire du Deux
Non pas la trace de la co-création
Mais bien l’acte de Dire
De l’être Deux



L'amour s'enracinera dans la paix intérieure
dans l'argile nourricière
et se fortifiera
et s'épanouira
et rayonnera.
Dire et Redire.

Passage vers un visage
vers l'âme cosmique du monde
à la mer belle
étendue dans l'infini
où convergent tous les canaux.
Dit jamais Redit.

Nos pas n'ont pas d'âge
la vie n'a pas d'âge
elle s'enracine simplement dans l'amour.
C'est notre Dite.

Amour plein
amour délié
pleins et déliés
plume qui court sur la feuille
mots qui se forment
sens qui éclot
discours qui se déploie.
Livre qui s'ouvre
dialogue à jamais inachevé.




[1] Levinas va au-delà de l'être : trouver l'autre en soi car nous participons de la même transcendance et il y a de "l'autre en soi"