Systèmes de signes
Un signe est la manifestation phénoménologique d'une chose ou d'un phénomène qu'il exprime de manière plus ou moins explicite. De façon générale, on peut dire qu’un signe est un objet porteur d’une signification autre que sur lui-même (mais en même temps sur lui-même sur le plan de sa constitution propre à savoir qu’un dessin de cheval est aussi un dessin). Le signifié ne peut être séparé du signifiant. La sémiotique n'est pas seulement une théorie du signe mais une théorie de la signification : la signification est « le produit organisé par l'analyse » ; elle est toujours articulée.
La sémiotique est l’étude des relations entre un signe et un référent (objet, concept, phénomène, etc.). La relation peut être considérée comme une relation en-soi (relation signifié/signifiant) ou comme une relation pour-soi (la relation signifiant/référent pour un interprétant) ce qui a donné deux écoles de pensée : la première issue de De Saussure puis de l’école de Paris est dite dyadique et la seconde issue de Pierce est dite triadique. Ces deux écoles se rattachent pour l’une au structuralisme et pour l’autre à la logique et plus largement au pragmatisme logique.
On peut considérer le signe selon les deux points de vue (a) structural (dyadique) ou (b) fonctionnel (triadique) :
- (a) Du côté de la structure on distingue le plan de l'expression (le signifiant) et celui du contenu (le signifié), la forme, ce qui structure, et la substance, ce qui est structuré. C’est le signe-relation.
- (b) Du côté de la fonction cette relation se projette sur un interprétant (qui n’est pas un interprète mais un processus d’interprétation). C’est le signe-action.
- la sémantique : la relation entre les signes et ce qu'ils signifient (relations internes entre signifiant et signifié ou relation externe entre le signe global et le référent).
- la syntaxe : les relations entre signes.
- la pragmatique : la relation entre les signes et leurs utilisateurs.
Morris voulait développer une science des signes « sur une base biologique et particulièrement dans le cadre de la science du comportement ». Le linguiste et sémioticien Thomas Sebeok fut l'un de ses étudiants et inaugura la voie de la biosémiotique reprise de nos jours par une branche de la biologie (écoles de Tartu et de Copenhague).
On voit ainsi que la sémiotique plonge ses racines dans l'épistémologie, la philosophie des sciences, la logique formelle, la linguistique, la phénoménologie, et, pour Ferdinand de Saussure et successeurs, dans la psychologie cognitive (plus généralement les sciences cognitives) et la sociologie, puisqu'elle pose la question de la signification au même titre que d’autres sciences ou d’autres disciplines.
![]() |
| A. Greimas |
Le carré sémiotique est un carré logique qui permet de mettre les signes en relation par un système d'oppositions binaires. Dans l'exemple ci-après l'être s'oppose au paraître sur une dimension sémiotique et l'être s'oppose au non-être sur une dimension logique.

La sémiotique d'Algirdas Greimas est une sémiotique générale qui privilégie diverses manifestations du récit : mythes, légendes, contes, nouvelles, romans, recettes de cuisine, etc. Elle s'est surtout attardée, dans les années 1960-1970, au parcours génératif de l'action (du provenir au parvenir) ; mais depuis, elle s'est davantage intéressée à la passion (de l'advenir au survenir) et à la cognition, la dimension thymique (tensive, passionnelle) et la dimension cognitive prenant le dessus sur la dimension pragmatique et les catégories sur les dimensions. La mise en mouvement du signe s’opère autour du schéma actantiel.
Le modèle triadique

| C.S. Pierce |
Autres modèles
Umberto Ecco a tenté de réconcilier les deux écoles mais sans grand succès, à travers sa définition de signe-fonction.
Edmund Husserl fait remarquer que les signes valent tout autant pour celui qui les produit que pour celui qui les interprète : un panneau de signalisation routière procède tout autant de l’intentionnalité du législateur que de l’interprétation de l’usager de la voie publique. Un panneau « virage » signifie « ralentir » pour le législateur et « tourner à gauche (ou à droite) » pour le conducteur. Les signes produits par la publicité étant avant tout « consommez davantage » se détruisent eux-mêmes en tant que signes perçus par le consommateur qui va rechercher non pas les qualités du produit vanté mais pourquoi et par qui ce produit est vanté. Il s’agit bien plutôt pour lui de déconstruire un discours de domination que d'analyser les signes.
Mais hors certains cas, il n’est pas possible de remonter à l’intentionnalité du producteur de signes car l'intention de communiquer n'est pas un critère observable dans le comportement d'un émetteur. En particulier pour la musique, système de signes complexe, Nattiez et Molino soutiennent qu’une œuvre musicale ne peut pas être abordée des trois points de vue convergents suivants :
- le niveau poïétique (point de vue de la production),
- le niveau esthésique (point de vue de celui qui reçoit le message musical) et
- le niveau immanent de l´œuvre (niveau neutre, l´ensemble des configurations du texte musical).
Dès lors pour Roland Barthes la signifiance musicale, relèverait d’une « sémiologie seconde, celle du corps en état de musique ».
Biosémiotique
La biosémiotique est une discipline qui étudie les processus sémiotiques et communicationnels au sein de, et entre, les organismes. Après tout, tous les organismes biologiques vivent en un certain lieu et sous certaines conditions physiques propres à l’environnement dont ils ont besoin pour percevoir, qui leur permet de réagir et de s’adapter. La biosémiotique décrit de telles relations comme étant basées sur des signes et l’échange de signes en employant des concepts tels que codes et encodage, Umwelt (le rapport à l’environnement propre à une espèce donnée, organisé par les significations) et niche sémiotique, entre autres.
| Jesper Hoffmeyer |
Au début de la découverte du code génétique, les biologistes ont pensé que la synthèse des protéines à partir du génome était un simple appariement : à une gène devait correspondre une protéine. On s'est aperçu depuis que les gènes ne sont pas décodés mais interprétés par la machinerie cellulaire. Dans le schéma simple un gène est transcrit en ARN messager, qui est à son tour transcrit en protéine en subissant au passage des opérations d'épissage et d'édition qui dépendent dans le noyau de la cellule de la présence d'autres molécules. Du fait de l'existence de cette mécanique complexe dépendante du contexte, on peut dire que dans un certain sens, la cellule accorde un "sens" au gène qu'elle interprète en tenant compte du contexte. C'est ce qui a permis à la biosémiotique de parler de signes : elle propose d ’étudier les systèmes vivants en tant que systèmes sémiotiques à part entière (Jesper Hoffmeyer, école de Copenhague Kalevi Kull, école de Tartu) en construisant leur théorie à partir du signe peircien.
| Kalevi Kull |
En termes biosémiotiques, la sémiosphère est l’ensemble de tous les Umwelten interconnectés. D'autre part, l’Umwelt est défini comme le monde sémiotique propre à l’organisme, le « milieu » de l’organisme étant marqué par les éléments qui lui sont signifiants en ce qui a trait à sa capacité d’action. L’importance de la conjonction de ces deux modèles sémiotiques réside dans la conviction qu’une théorie combinatoire s’avère nécessaire à l’étude des organismes complexes et à l’usage qu’ils font des signes. L’origine théorique de la sémiose ne se trouve pas seulement dans le moment de l’émergence de la vie, mais doit forcément être recherchée dans la combinaison de : a) un sujet perceptif (ou organisme) ; b) son milieu ; et c) la création de signes impliquée dans l’interaction de cet organisme avec un autre. C’est au confluent de ces trois systèmes sémiotiques complémentaires que se constitue le fondement théorique permettant d’identifier un seuil inférieur pour la biosémiose.
La définition la plus élémentaire de la sémiose se rapporte à la relation nécessaire entre un organisme qui perçoit et l’interprétation active qu’il fait de son milieu, incluant ses interactions avec des objets abiotiques dans ce milieu. La sémiose, indissociable par nature, est coextensive avec la vie puisque les organismes vivants sont capables d’utiliser et d’interpréter les signes ainsi que de générer plusieurs occasions pour les répandre.
L’analyse de la sémiose permet aussi de formuler une réponse quant à son origine théorique, c’est-à-dire son fondement, considérée d’après le point de vue abiotique, si l’on considère qu’elle est finalement un principe d’action et non pas une action en soi. Cela implique que la constitution du système des relations entre un organisme simple, son milieu et ses actions interprétatives vers son milieu peut théoriquement être répliquée en trouvant les conditions minimales requises pour réaliser ce système.
« Dans la conception biosémiotique, la sphère de vie est imprégnée de processus de signes (sémiologie) et de signification. Quels que soient les sens d’un organisme – nourriture, évasion, reproduction sexuelle, etc., et tous les organismes naissent ainsi dans une sémiosphère, c’est-à-dire dans un monde de sens et de communication : sons, odeurs, mouvements, couleurs, champs électriques, ondes de tout genre, signaux chimiques, toucher, etc. » (Hoffmeyer, 1998).
Dans sa Phénoménologie de la Perception, Maurice Merleau-Ponty déplace le lieu de l’intention de la conscience husserlienne vers le corps-sujet. Avec ce changement, Merleau-Ponty secoue l’héritage des dualismes cartésiens, notamment les oppositions de l’esprit et de la matière, du sujet et de l’objet, de la culture et de la nature, et de la réalité humaine par rapport à la réalité naturelle. Ce passage à l’intention incarnée signifie que l’intention n’est plus la « marque du mental », mais doit maintenant être considérée comme ancrée dans les processus biologiques - processus qui sont partagés par les organismes humains et non humains. En dissolvant le dualisme qui distingue les humains des autres êtres vivants, Merleau-Ponty ouvre effectivement la voie à une écologie philosophique. Son passage ultérieur du « corps » à la « chair du monde » dans Le Visible et l’Invisible marque un pas supplémentaire dans cette direction, renforçant l’idée que l’intention peut maintenant être généralisée à tous les organismes vivants, et à travers cela à l’ensemble de la nature. De cette façon, Merleau-Ponty met en scène une écologie philosophique, qu’il n’a pas entièrement développée, mais qui se présente aujourd’hui comme un projet important pour les chercheurs en biosémiotique.
Cependant, l'usage du mot "signe" en biologie semble abusif car on ne sait pas définir avec rigueur ce qu'est même une information (à propos des nucléotides par exemple ou du rôle du système épigénétique dans l'évolution). Il s'agit donc de considérer le signe en biologie comme source d'inspiration plutôt qu'une théorie nouvelle qui considérerait que la vie est sémiotique.
Que conclure ?
Un signe n’est vraiment un signe que s’il entre dans un processus de communication (message) pour dénoter un objet, une œuvre ou un phénomène. Il ne peut être analysé ni interprété sans considérer sa genèse, son contexte et son statut par rapport à un interprétant. Il ne s’agit pas tant d’expliquer le signe que de le construire/déconstruire pour en trouver un déchiffrement.
« Déconstruire, c'est dépasser toutes les oppositions conceptuelles rigides (masculin/féminin, nature/culture, sujet/objet, sensible/intelligible, passé/présent, etc.) et ne pas traiter les concepts comme s'ils étaient différents les uns des autres. Chaque catégorie garde une trace de la catégorie opposée (par exemple : l'androgyne qui porte les traces du masculin et du féminin; la prise en compte de l'observateur dans une expérience scientifique qui poursuit des fins objectives ; la loi du plus fort qui régit la nature se répercutant dans les organisations et structures sociales. » Jacques Derrida.
La déconstruction permet d’éliminer la thèse d’un contenu originaire absolument normatif. C’est plutôt un déchiffrement des signes et des sémioses qu’un dévoilement de la vérité qu'il faut privilégier…
"Le signe est une fracture qui ne s'ouvre jamais que sur le visage d'un autre signe". Roland Barthes, L'empire des signes.
Mais alors la sémiotique a-t-elle à voir avec la phénoménologie ? Pour ce qui est de la signification ou, plus
largement, du sens, les choses sont embrouillées car
les distinctions savantes imprègnent désormais l’usage ordinaire de ces
mots. Dans tous les cas, la question de leur extension semble
déterminante, et en cela cette extension est problématique.
Si l’extension accordée à la signification est constitutive de
son concept, alors son intelligibilité dans le discours philosophique, comme d’ailleurs en sémiotique, demeure très en deçà des
fonctions qui lui sont imputées ; cela est également valable
pour le sens. Est-ce toujours selon le même concept de signification (ou de
sens) que l’on décrit, en phénoménologue ou en sémioticien, les
phénomènes psychiques, les actes intentionnels, les expériences vécues, les
œuvres artistiques de toutes disciplines, les pratiques culturelles ?
Un grand nombre des discussions théoriques qui animent
ces disciplines tournent précisément autour de cette question mais
prennent rarement le risque d’une mise à plat.
La sémiotique n'occupe pas moins une position difficile par rapport à la linguistique, par son côté trop structuraliste d'un côté (école de Paris) ou trop logique (Pierce). Ainsi la sémiotique ne peut être une science autonome et tenir ses objectifs d'expliquer à elle seule ce qu'est le sens ou la signification.

