Alchimie
Petite introduction à l’alchimie et à la poésie qui en
découle
L’alchimie est un procédé chimique de transformation de la matière et par extension analogique, un procédé de transformation de soi, car le savant est lié à son savoir et progresse au cours de sa recherche alchimique, l’être se construit autant que l’or qu’il recherche. Le langage de l’alchimie est codé et imagé [1], de façon à transmettre un savoir-faire à des initiés, car il n’y avait pas de brevet autrefois pour protéger les techniques et que peut-être ce savoir devait se mériter. Cela en fait une science occulte et symbolique d’une part mais aussi magique et ésotérique d’autre part. Elle remonterait à Hermès Trismégiste [2].
Voyons ce que cela donne sur le procédé de fabrication du mortier à la chaux, réputé donner sa solidité à la cathédrale et par extension son éternité [3]. Par analogie, il en sera de même pour le procédé de fabrication de la pierre philosophale qui donne la richesse et l’éternelle jeunesse à son possesseur qui a réussi à transformer les métaux en or ou qui a réussi à obtenir l’élixir de longue vie.
La transformation du calcaire en mortier dans la construction est le suivant (avec un vocabulaire emprunté volontairement à l’alchimie) :
Les éléments dits primordiaux pour le mortier
- Terre (calcaire CaCO3, sable SiO2) : élément solide, symbolisé par le lion
- Eau (H2O) : élément liquide, symbolisé par la rosée
- Air (O2) : élément volatile, symbolisé par l’aigle
- Feu (chaleur) : élément de transformation, symbolisé par l’épée
Les outils et instruments
- Athanor est le four (à chaux pour l’exemple de la chaux)
- Alambic : appareil qui sert à distiller, et qui se compose d'une cucurbite, d'un chapiteau et d'un serpentin.
Les étapes de la fabrication par transformation
1. Œuvre au noir ou putréfaction : extraction du calcaire dans les carrières, broyage, filtrage -> CaCO3 en poudre (c’est la purification ou putréfaction c’est-à-dire la séparation des éléments purs des éléments impurs)
2. 1ère cuisson dans l’athanor : Chauffage CaCO3 -> CaO + CO2 (par chauffage le calcaire se transforme en chaux vive et libère du gaz carbonique dans l’air)
3. Il peut y avoir ensuite plusieurs cuissons dans certains procédés alchimiques mais ce n’est pas le cas pour la chaux
4. Œuvre au blanc ou décantation : mouillage CaO + H20 -> Ca(OH)2 (on obtient la chaux dite « éteinte » en mélangeant la chaux vive et l’eau on obtient une pâte apte à la construction pour lier les pierres que l’on solidifie davantage en ajoutant du sable, ou sel alchimique qui permet de renforcer les qualités de ce mélange qu’est le mortier (le sel alchimique peut-être aussi un catalyseur dans certaines réactions). L’œuvre au blanc conduit à l’œuf alchimique qu’il s’agit dans une dernière étape de féconder
5. Œuvre au rouge ou fécondation : liage des pierres et du mortier puis séchage à l’air Ca(OH)2 + CO2 -> CaCO3 + H2O, la chaux redevient calcaire en séchant, par absorption du gaz carbonique de l’air, et en restituant l’eau. C’est donc une pierre (avec le sable mélangé) qui se soude aux autres pierres de la construction et la solidifie. Le sable donne une plus grande dureté au calcaire et le bonifie sans entrer dans une réaction chimique mais seulement par ses propriétés mécaniques. Le sable a « fermenté » ou « fécondé » le calcaire, en un alliage solide.
Le bilan chimique est neutre on
retrouve du calcaire à la fin du processus, le CO2 émis est capturé à nouveau et l’eau utilisée au départ s’évapore dans l’air. C’est le côté
« magique » de la transformation, la matière se trouve fécondée par
elle-même et qualifiée par les apports en sable. Le gaz carbonique et l’eau
sont des éléments intermédiaires, volatile pour l'un et liquide pour l'autre qui s’interchangent dans
le procédé, symbolisés alchimiquement par le soufre et le mercure, éléments
opposés et complémentaires (principes mâle et femelle), actifs au cours du
processus.
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| Auberge Nicolas Flamel, Paris |
« Car il est certain que toutes choses sont de ce en quoi elles se résolvent par leur dissolution, comme on peut le voir par la glace qui, étant formée d’eau, se résout en eau par la chaleur. S’il est manifeste que la glace, étant eau, s’est convertie en eau, de même les Métaux, qui dans leurs principes ont été Mercure, se convertissent aussi en Mercure. » Nicolas Flamel, Le désir désiré.
Ainsi il est possible de transformer les métaux si l’on part des bons ingrédients au départ. Il est évident qu’on peut obtenir du fer à partir du minerai de fer ou de l’or à partir du minerai d’or, après une série de traitements chimiques adaptés - notamment en utilisant du mercure. Il n’y a aucune raison que dans ces conditions des alchimistes n’aient pas pu « fabriquer » de l’or. Mais ils ne l’auraient pas pu par « transmutation », par exemple à partir du fer ou du plomb, car le procédé nécessite des réactions nucléaires inconnues à leur époque.
Alchimie philosophique
La branche occulte de l’alchimie s’est développée à la fin du moyen-âge puis à la Renaissance pour s’éteindre au siècle des Lumières. Il s’agissait alors de rechercher la pierre philosophale, pierre capable de transformer le mercure ou autres métaux en or. Nicolas Flamel fut un des plus célèbres alchimistes français (1340-1418) qui parvient enfin après 21 ans de recherches à transmuter du mercure en argent, puis en or, le 25 avril 1382 : « Je fis la projection avec de la pierre rouge sur semblable quantité de mercure […] que je transmutais véritablement en quasi autant de pur or, meilleur certainement que l'or commun plus doux et plus ployable », en atteste sa fortune a posteriori et la légende qui le vit encore à Paris en 1761… mais ce secret ne fut jamais percé ni par Raymond Lulle ni par un million d'autres qui cherchent toujours… et Nicolas Flamel lui-même reste une légende.
La branche philosophique de l’alchimie considère que le message des initiés, remontant à la plus haute antiquité, porte plus sur une méthode immatérielle de transformation de soi par voie mystique que sur la réalisation matérielle de l’œuvre : c’est une sorte de mystique expérimentale, de nature à la fois matérielle et spirituelle qui propose à l’homme de triompher de lui-même. A partir de là on peut imaginer un procédé analogue pour se transformer soi-même et se qualifier (le départ est le plomb - la lourdeur de l’âme -, l’arrivée est l’or alchimique - spirituel). On retrouve donc le même procédé de transformation de soi par analogie avec celui de la matière inerte :
- 1. Œuvre au noir ou putréfaction : séparation des éléments purs des éléments impurs en soi, cela peut s’accompagner de rituels [4], d’isolement, de méditations, d’exercices, etc.
- 2. Œuvre au blanc ou décantation : obtenir un élixir appelé aussi or potable), un concentré, c’est-à-dire attendre que les choses mûrissent, se déposent en soi avec patience et se purifient. Il s’agit ensuite d’en prendre conscience ce qui symboliquement consiste à boire cet élixir ou eau de jouvence pour se régénérer,
- 3. Œuvre au rouge ou fécondation : incorporer cet élixir pour se consolider, se construire durablement et résoudre ses contradictions pour trouver la sagesse.
« L’étoile est le grand signe de l’Œuvre ; qu’elle scelle la matière philosophale ; qu’elle apprend à l’alchimiste qu’il n’a pas trouvé la lumière des fous mais celle des sages ; qu’elle consacre la sagesse ; et qu’on la dénomme étoile du matin » Fulcanelli.
Comme dans l’alchimie des métaux, le plus important est de savoir quoi purifier en soi, l’ingrédient de départ. Le travail essentiel de l’alchimiste est d’abord de se connaître.
Alchimie poétique
Figure majeure du romantisme, Gérard de Nerval, peut être considéré comme un alchimiste [5] qui transforme le désordre et la folie en poésie, dans sa recherche d’une identité.
Je suis le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie […]
Les surréalistes y verront un « voyant » comme Arthur Rimbaud plus tard. Pour les surréalistes, en ramenant la « pierre philosophale » à être le symbole du triomphe de l'imagination, André Breton ne se conduit pas en « adepte » mais détourne la tradition alchimique au bénéfice de sa valeur poétique (second Manifeste du surréalisme, 1930) :
« Les recherches surréalistes présentent avec les recherches alchimiques une remarquable analogie de but : la pierre philosophale n’est rien d’autre que ce qui devrait permettre à l’imagination de l’homme de prendre sur toutes choses une revanche éclatante ».
Il rédige ses trois romans Nadja, L’amour fou et Arcane 17 comme les trois étapes d’une œuvre alchimique : Nadja ou la quête de la connaissance ; L’amour fou ou la marche initiatique de l’amour ; Arcane XVII ou l’hymne à la renaissance.
« Les trois romans étudiés, outre leur analogie exotérique, forment un tout dans une interprétation alchimique. Nadja, la cause première, marque la phase préparatoire, celle de la conception, de la recherche, du rassemblement des différents éléments en vue de l’action future. Le lecteur est, pour sa part, sensibilisé à l’alchimie évoquée par petites touches, plutôt que de manière coordonnée. L’Amour fou retrace l’exécution, le processus alchimique. Nous assistons à la succession des étapes ; les errements dans Nadja deviennent ici marche ordonnée, puis ascension où aucune hésitation n’est permise quant au but à atteindre. Arcane 17 traduit la réussite finale. Cet ouvrage se situe au-delà de l’élaboration alchimique. L’apparition de l’Etoile coïncide avec le succès. L’accent n’est plus mis sur un processus, mais sur les pouvoirs et qualités de la Pierre procurant liberté, amour et vie. » Richard Danier, André Breton et l’hermétisme alchimique.
Le temps alchimique
Est un serpent lové
Toujours prêt à se dérouler
Et à se déployer
Dans la transformation de l’être, et
Dans le dévoilement de la conscience
Le temps alchimique enveloppe le jour
Le drape de ses images
Le temps alchimique emplit la nuit
Et guide les rêves
Les souffles de l'alchimie
Les souffles se mêlent, invisibles éclats,
L'intérieur s'épanouit, l'extérieur s'ébat.
Source de soi, écho du monde,
Deux rivières qui jamais ne grondent.
Dans le vent qui caresse, une danse insensée,
Où l'âme s'abandonne, sans être devinée.
Ni le soin, ni le temps, ne l'atteignent,
Elle surgit, telle une flamme qui enseigne.
Respire le ciel, goûte la terre,
Les souffles résonnent sans manière.
Une note née du néant,
Une harmonie, un secret géant.
L'accord tacite, là, dans le vide,
Une communion douce et rapide,
Sans pourquoi, sans comment, elle glisse,
Dans l'ombre d'un instant, l'onde se hisse.
Le souffle du monde dans l'âme reflète,
La source en soi, jamais incomplète.
Sans habileté, sans désir, ni soin,
La résonance vit, au-dedans, au loin.
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[1] Par exemple : http://www.lesamisdhermes.com/2015/12/un-lexique-alchimique.html
[2] Voici le texte complet de la Table d’Emeraude : « Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable : Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d’un, par la médiation d’un : ainsi toutes les choses ont été nées de cette chose unique, par adaptation. Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le telesme de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi. C’est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici. C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé. »
[3] Le mystère des cathédrales, Fulcanelli, Albin Michel éd., 2015
[4] J’ai connu un « alchimiste » dont le rituel consistait à étendre sur l’herbe, un drap chaque nuit de pleine lune pour recueillir la rosée avant le lever du jour. Puis soigneusement tordre le drap pour en récupérer l’eau avec mille précautions. Cela lui a pris des années pour avoir suffisamment d’eau. La laisser décanter en observant son évolution pour savoir si elle avait été « énergétisée » par les rayons de la lune, jusqu’à obtenir un élixir par différentes manipulations, expositions à la lumière, chauffage et évaporation, etc. Après quelques années, enfin cet élixir était à boire à petites gorgées dans la dévotion. Il est certain qu’entre le début de son expérience et la fin, il s’était transformé !
[5] Il a écrit une pièce de théâtre inachevée intitulée « Flamel »