Intériorité

Intériorité, intérieur



Propos



Intériorité = essence de l’intérieur ou intérieur en-soi, l’intérieur vu de lui-même.
De quelle nature est l’intérieur de l’être ? L’intérieur des choses ?
Être à l’intérieur est-ce être-dans ou être-parmi, ou être-de ? Mais être-dans n’est-ce pas exclure tout le reste que soi ?


Analyse

L’invention de l’intériorité (Aurélie Foglia)
Le romantisme invente une nouvelle modalité de l’intériorité, au cœur de l’individu. Un espace d’ordre privé se trouve circonscrit, prélevé sur l’espace extérieur, naturel comme social, et réservé à la vie individuelle. L’intérieur devient un second corps, ou, pour le suggérer par la métaphore, coquille, cocon ou carapace, donnant lieu au moi du poète, intégrant son rituel d’écrire. Par sa nécessaire fermeture, l’intérieur représenterait en somme la possibilité d’une gestation à la fois sensible et spirituelle. Ce n’est pas que cet espace clos, matriciel, mette au monde le sujet ; c’est plutôt qu’il lui donne un monde, dans un geste de séparation revendiquée.
L'intériorité en question. Regards croisés sur Kierkegaard et Levinas (David Brezis, dans Rue Descartes 2004/1 - 43, pages 16 à 28)
"Les deux gestes majeurs autour desquels s’articule Totalité et Infini. D’une part, le sujet est institué en son intériorité dès lors qu’il trouve refuge dans un quant à soi séparé de la Totalité ; d’autre part, c’est depuis ce quant à soi qu’il est appelé à découvrir les limites de sa souveraineté en rencontrant l’Autre.

Que ce soit dans l’assignation à l’Être ou à l’Autre, le sujet se découvre comme rivé irrémissiblement à soi  (de l’existence à l’existant (EE), pp. 101-102, 134-136). Irrémissibilité accablante, que le sujet voudrait fuir dans le repli de l’intériorité mais à laquelle il ne saurait échapper, qui le hante comme une fatale impossibilité de sommeil, de détente, d’oubli. D’une certaine manière, Levinas rapproche lui-même ces deux expériences, lorsqu’il situe l’une et l’autre « en arrière » du moi actif ou conscient, à un niveau « pré-originel » où le moi n’est encore qu’un soi livré sans défense (sans le recul protecteur de la conscience) à un dehors qui le submerge."
Mythe(s) de l’intériorité et phénoménologie de la nature (Élodie Boublil p. 85-102) 
Merleau-Ponty s’achemine vers une ontologie phénoménologique de la nature, devenant endo-ontologie de la chair du monde, en s’appuyant sur la déconstruction d’un mythe de l’intériorité qui émanciperait la conscience transcendantale de son enracinement charnel et historique. Son approche de la nature comme « être sauvage » reconduit le « sens » à son origine antéprédicative, faisant ainsi du monde l’espace topologique naturel à partir duquel se dessinent et s’instituent les trajectoires historiques de la liberté. La foi perceptive et la plasticité expressive qui se déploient à même le monde naturel épousent les mouvements d’un « être de porosité » et de latence, et révèlent un logos endiathetos, selon les réflexions du Visible et l’Invisible. Dans la pensée de Merleau-Ponty, la refonte du concept de nature est ainsi fondée sur une approche esthésiologique de l’intériorité – non de l’intériorité d’une conscience séparée, mais de l’intériorité propre à l’être charnel lui-même et qui révèle la portée interrogative et signifiante de la vie. Comme le souligne Françoise Dastur : « la pensée de Merleau-Ponty, surtout dans sa dernière période, est une pensée de la structure vivante pour laquelle l’intériorité ne renvoie plus à un sujet clos sur lui-même, mais devient la dimension d’un être qui en perdant sa positivité en vient à se confondre avec le mouvement même de l’expérience ». Abolissant les dichotomies de la métaphysique classique, Merleau-Ponty amorce une philosophie de l’appartenance du sujet au monde fondée sur cette intériorité de l’être à lui-même.

Dans la pensée de Ricœur, le mouvement de l’interrogation est inversé. La refonte du concept de liberté s’appuie sur une approche mythologique ou poétique du concept de nature qui substitue l’idée de polarité à la porosité de l’être merleau-pontien. Le mythe de la nature qui transparaît dans les analyses sur l’involontaire et sur la fragilité fait signe vers une phénoménologie de l’intériorité qui préfigure l’herméneutique de l’altérité et les analyses ultimes de Ricœur sur l’homme capable et sur l’ipséité d’un sujet qui se sait à la fois « agissant et souffrant ». Ricœur déploie alors en filigrane une anthropologie philosophique de la liberté qui met l’accent sur les médiations et met en lumière « l’intermédiaire » (metaxu) qui relie l’ancrage naturel et corporel de l’intentionnalité affective au projet libre et créateur de la volonté.
Conclusion provisoire : Il n’y a pas d’intériorité sans extériorité. Les deux doivent être pensés ensemble. Ainsi, les philosophies de Merleau-Ponty et de Ricœur pensent la nature en dialogue avec l’intériorité – intériorité de l’être ou intériorité du sujet – parce qu’elles s’intéressent aux modes de phénoménalisation de la nature à travers le prisme du vivant.

Subjectivité et intériorité (Renaud Barbaras)

Husserl, reconnaissant dans le mode d’apparaître l’accès à un mode d’être spécifique, met en évidence un sens de la subjectivité qui, comme immanence, ne doit rien à l’extériorité : « entre la conscience et la réalité se creuse un véritable abîme de sens. Nous avons d’un côté un être qui s’esquisse, qui ne peut jamais être donné absolument, un être purement contingent et relatif, de l’autre un être nécessaire et absolu qui par principe ne se donne pas par esquisse et apparence.

Avec cette analyse du vécu, nous accédons à un sens neuf de l’intériorité, que nous pourrions qualifier de transcendantal et qui est exempt de toute référence à la délimitation d’un espace substantiel clos : « la conscience considérée dans sa ’pureté’ doit être tenue pour un système d’être fermé sur soi, pour un système d’être absolu dans lequel rien ne peut pénétrer et duquel rien ne peut échapper, qui n’a pas de dehors d’ordre spatial ou temporel, qui ne peut se loger dans aucun système spatio-temporel, qui ne peut subir la causalité d’aucune chose, ni exercer de causalité sur aucune chose.

Nous avons ici affaire à une intériorité en un sens remarquable, apparemment déliée de toute référence à la choséité, intériorité qui n’est pas circonscrite par une frontière au sein de l’extériorité mais repose plutôt sur une absence principielle de frontières, en tant que les vécus qui la composent sont étrangers à la spatialité. La clôture de ce système d’être ne tient pas à la présence d’une limite ou d’une borne mais plutôt à son absoluité, à son indépendance ontologique vis-à-vis de tout ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire justement à l’absence de toute limite et de toute borne. Intériorité pour ainsi dire positive plutôt que négative, qui permet une expansion sans fin plutôt qu’elle ne procède d’une limitation. Il s’ensuit que, contrairement à l’intériorité substantielle cartésienne qui laissait tout le réel en dehors d’elle et soulevait donc le problème de la valeur objective des représentations, l’intériorité propre au champ des vécus peut tout contenir, y compris ce qui n’est pas elle et, dès lors, le constituer. C’est précisément ce qui la désigne comme transcendantale : en retrouvant, comme « résidu » phénoménologique de la réduction, la seule conscience pure, « nous n’avons proprement rien perdu, mais gagné la totalité de l’être absolu, lequel, si on l’entend correctement, recèle (birgt) en soi toutes les transcendances du monde, les ’constitue’ en son sein (in sich).

Or, il est légitime de se demander si la subjectivité transcendantale, telle qu’elle est décrite par Husserl, nous permet véritablement de rejoindre le monde dans la plénitude de son sens, ce qui pourrait conduire à soupçonner l’indépendance du concept d’intériorité comme immanence vis-à-vis de toute forme de réalité (d’extériorité).

En vérité, comme le dit Patocka à plusieurs reprises, on ne voit pas comment un acte, qui est lui-même un vécu, pourrait rejoindre l’extériorité en s’appuyant sur des contenus purement immanents : « comment le vécu, originairement donné à soi-même dans la réflexion, s’y prend-il pour faire apparaître une transcendance du côté objectif ? C’est incompréhensible. »

En reconstituant l’apparaître à partir d’une sphère d’immanence, on compromet la transcendance qui le caractérise en tant qu’apparaître d’un apparaissant mondain. En d’autres termes, on ne pourra jamais rejoindre la transcendance de l’apparaissant si on ne reconnaît d’abord celle de l’apparaître, c’est-à-dire de la phénoménalité, qui ne peut dès lors être reconduite à des contenus immanents.

En ce sens, le subjectif, en et par quoi l’apparaissant se donne, ne doit pas être immanent mais résolument extérieur et donc « objectif », comme le dit Patocka. Ainsi, en partant des vécus immanents on s’interdit de rendre compte de la subjectivité comme constitutive du champ phénoménal.

Comme l’écrit Patocka de manière incisive : « la certitude de soi de l’existence de l’ego, du sum, est interprétée comme présence, la présence comme auto-donation originaire. Or l’auto-donation originaire requiert un objet correspondant ». Ainsi, c’est dans la mesure où l’appréhension du phénoménal est comprise comme intuition (ce qui revient à ignorer que le vide peut être un mode de donné et non pas seulement une non-donation) que le subjectif en vient à être caractérisé par les vécus comme étants positifs et que la subjectivité est alors confondue avec l’intériorité de l’immanence comme perception interne. Une telle description est inconséquente puisqu’elle revient à rendre compte de l’apparition à partir d’un certain apparaissant, le vécu, et donc à emprunter au constitué pour rendre compte de sa constitution.

Au terme de cette analyse, on se voit contraint de reconnaître que, en dépit de la critique du substantialisme permise par l'épochè et donc d’une détermination non substantielle de l’intériorité comme pure immanence, Husserl ne progresse guère par rapport à Descartes quant à la question de l’intériorité.

Une philosophie rigoureuse de la subjectivité doit renoncer purement et simplement à l’intériorité : « La vérité n’habite pas seulement l’homme intérieur, ou plutôt il n’y a pas d’homme intérieur, l’homme est au monde, c’est dans le monde qu’il se connaît. Quand je reviens à moi à partir du dogmatisme du sens commun ou du dogmatisme de la science, je ne trouve pas un foyer de vérité intrinsèque, mais un sujet voué au monde [Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Avant-Propos, p. V.]»

En somme, il n'y a pas de vie intérieure propre, qu’on appellerait “intériorité”, car elle est toujours reliée avec l’extérieur et immergée en lui. Mais sur le plan du ressenti, on ne peut nier la sensation de “monde intérieur”, de discours intérieur, de perception d’un soi-même propre, peut-être incommunicable. Il s’agit alors de subjectivité mais pas d’intériorité.
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p.468 à 470.
“Je suis un champ, une expérience du monde.

Un jour et une fois pour toutes quelque chose a été mis en train qui, même pendant le sommeil, ne peut plus s’arrêter de voir et de ne voir pas, de sentir ou de ne sentir pas, de souffrir ou d’être heureux, de penser ou de se reposer, en un mot de “s'expliquer” avec le monde. Il y a eu, non pas un nouveau lot de sensations ou d’états de conscience, non pas une nouvelle monade ou une nouvelle perspective, [...] disons qu’il y a eu une nouvelle possibilité de situations. [...] Je ne suis pas une série d’actes psychiques, ni d’ailleurs un Je central qui les rassemble dans une unité synthétique, mais une seule expérience inséparable d’elle-même, une seule “cohésion de vie”, une seule temporalité qui s’explicite à partir de la naissance et le confirme dans chaque présent. C’est cet avènement, ou cet évènement transcendantal que le cogito retrouve.[...]

Il n’y a pas d’intérieur et d’extérieur, il y a une expérience du monde. Intérieur et extérieur sont inséparables. Le monde est tout au-dedans de moi, et je suis tout hors de moi.

Si le sujet est en situation, si même il n’est rien d’autre qu’une possibilité de situations, c’est qu’il ne réalise son ipséité qu’en étant effectivement corps et en entrant par ce corps dans le monde. Si, réfléchissant sur l’essence de la subjectivité, je la trouve liée à celle du corps et à celle du monde, c’est que mon existence comme subjectivité ne fait qu'un avec mon existence comme corps et avec celle du monde et que finalement le sujet que je suis, concrètement pris, est inséparable de ce corps-ci et de ce monde-ci.

Le monde et le corps ontologiques, que nous retrouvons au cœur du sujet, ne sont pas le monde en idée ou le corps en idée, c'est le monde lui-même contracté dans une prise globale. C’est le corps lui-même comme corps connaissant.”

Résumé provisoire


Il n'y a pas d'intériorité de soi. L'intériorité ou en-soi de l'intérieur de soi est seulement le mouvement, la direction du mouvement de saisie du monde, tourné vers soi-même. Mais il n’y a pas de réflexivité du regard qui verrait le soi à travers le prisme du monde, il y a seulement une orientation du mouvement d’appréhension du monde vers soi.

Je suis uniquement ce mouvement de saisie du monde dans une intersubjectivité avec ce monde. Je perçois l’arbre, je pense l’arbre comme pensée du monde, et  accomplissement d’être-au-monde.

On peut cependant distinguer intérieur et intériorité. On a bien un “intérieur” (corps, subjectivité) mais pas d’intériorité au sens phénoménologique (car on ne peut pas en faire une expérience vécue, l’expérience que l’on vit est celle du monde et non celle de soi). On peut parler d’intérieur au sens de : pensées intérieures, espace intérieur de la mémoire, conscience de soi, ressenti de son corps, sensations, etc.

« Devenu sourd,
J’ai reconnu,
Le son de la rosée. »

Haiku de San’yûtei Enchô

Prolongements et considérations poétiques


Développer sur un plan poétique, le mouvement vers l’en-dedans de soi et l’imagination de l’en-dedans des choses et du monde.
Le soi comme soi-plongé-dans le monde, le penser comme pensé du soi-au-monde.
Le flux du monde en soi, la saisie de chair du monde en soi.
Analogie avec le souffle, l’atmosphère : l’air pénétrant tout en enveloppant, l’atmosphère à la fois produite et reçue.

Intérieurs vivants


Il n’y a d’intériorité que s’il y a une extériorité, un intérieur et un extérieur comme vases communicants. L’intérieur n’a de sens que s'il y a un extérieur. La vie ne peut exister sans échange intérieur-extérieur. L’homme est plongé dans un contexte qui est sa condition d'être vivant ; tout intérieur est plongé à son tour dans autre chose : un extérieur ou un autre intérieur.
L’intérieur est un abri
Protection d’un extérieur agressif
Grotte, terrier, nid, hutte, cabane
Lieu de reproduction puis enaction de la vie
Ou de renaissance à l’instar de Jonas dans le ventre de la baleine
Mais l’intérieur est aussi prison : l’internat, la caserne…
Il a toutes les facettes d’un monde fermé, la cale du bateau pleine d’esclaves sont des enfermements forcés dans des intérieurs contraints, dans lesquels les chairs macèrent
L’intériorité comme mouvement venu de l’extérieur : engrangement, intériorisation
L’intérieur est un grenier
La mémoire recréée par le jeu des correspondances des rêves
La vie entassée : parfois un bric-à-brac
Quelques trésors cependant
La vie enregistrée-là dans ces malles qui se fait matière incarnée
Continuité entre intériorité et monde extérieur : l’intentionnalité prend sa source dans l’intérieur de l’être, le regard intérieur en est la conscience, l’atmosphère du monde influe sur le climat intérieur de l’être. L’aïda partagée
Ce sont les formes qui créent les intérieurs
L’intérieur d’un être vivant est fait de chair.
La peau délimite la chair, comme la membrane pour une cellule, elle est poreuse
Toute forme délimite un intérieur et un extérieur
La forme n’est que l’enveloppe parfois informe, floue
La séparation n’est peut être pas si marquée, et doit être interrogée.
Filtre, échange, sélection, assimilation, principe de vie qui fait intérieur et extérieur au moins pour la cellule vivante
Séparation vs continuité ; membrane vs transition
L'intériorité de la forme (Alexandre Lissner)
"Si des formes apparaissent, les conditions mêmes de leur apparition imposent – telle est cette évidence ontologique, ici in fine anthropologique, qui s’énonce indépassable – que la forme soit toujours déjà tournée vers une extériorité qui « de fait » la précèderait : matière, divers, nature, langage."
La concavité, le creux, les courbes
La vallée
Semi-ouvert, semi-fermé ou esquisse d’un intérieur
La paume de la main réceptrice
La forme de l’accueil
La forme de la réceptivité
Un intérieur à éclore, cerné de lignes et de surfaces
La fleur va naître
L’intérieur n’a pas de forme propre, il a celle que lui permet l’extérieur qui contraint son enveloppe, mais il a une densité, une texture : c’est lui en réalité le réceptacle des choses

La forme du langage s’ajuste à la forme de l’être ; elle en est le vêtement
Le regard à l’intérieur de la demeure de l’être

Le regard  


Le regard s’origine dans l’intérieur de l’être mais on ne peut voir cet intérieur car il faudrait un regard d’avant le regard, d'avant l’exprimable. Il y va de l’abîme insondable des êtres. Le regard est cependant une intentionnalité, l’intentionnalité-de ; le regard pousse l’intériorité à se faire extériorité ; et réciproquement capte l'extériorité pour en faire une intériorité.
Il est à l’interface intérieur / extérieur
Il n’est pas un passage ni une fenêtre
Il est sur la membrane du temps
Il se configure à chaque instant, change de forme et fait changer les formes du monde
Il est du geste d’être au monde, de l’habiter, de s’en imprégner

L’intériorité de l’être oriente le regard sur le monde, s’imprègne du monde puis intériorise le monde extérieur, s’en nourrit
A son tour, le monde se peuple des regards des êtres, il vibre de ces regards habités

Les flots mugissants de la pensée inondent la demeure, mais la demeure surnage

La demeure de l’être


Géographie intérieure, plaines et montagnes, haut et bas
Les fleuves comme la pensée coulent vers la mer
La parole est une barque sur le penser
Hébergement de la parole dans la demeure de l’être
A la naissance de la parole était le geste
Hébergement de la parole dans les gestes : tout au début de sa formation, le geste a engendré la parole. Elles était contenue en germe dans le geste.
la parole comme cri de fuite
la parole comme signe de reconnaissance
la parole comme chant de parade
la parole des rituels et des fêtes
la parole de concertation et de coordination
la parole du dialogue
la parole qui commande et qui juge

Intériorité de l’être : et Intériorité du monde


Porosité transcendantale ?
Tout est poreux, sans frontière
Chair du monde et chair de l’homme sont une même chair
L’intérieur est la texture de cette chair
L’intimité de la demeure aux tentures soyeuses
L'intimité de l’être se mêle à l’intimité de l’alcôve
Nudité tant extérieure qu’intérieure
Intérieur d’un sexe ouvert à l’invitation de l’alcôve
Une demeure doublement remplie
L’intérieur de la demeure est vide ou plein, transparent ou opaque. L’intériorité n’est ni vide ni pleine, ni transparente ni opaque, car ce n’est pas un lieu ni une qualité, c’est l’essence de la demeure. L’intériorité n’est pas la vie intérieure de la demeure non plus, c’est tout au plus une matrice, l’intériorité de l’œuf est la vie qui l’héberge
« Pour moi, je continuerai à habiter ma maison de verre, où l'on peut voir à toute heure qui vient me rendre visite, où tout ce qui est suspendu aux plafonds et aux murs tient comme par enchantement, où je repose la nuit sur un lit de verre aux draps de verre, où qui je suis m'apparaîtra tôt ou tard gravé au diamant », écrivait André Breton dans « Nadja ».
 

Intérieur des choses


Intérieur d’un objet : comment l’appréhende-t-on ?
Intérieur de l’arbre, de la forêt ?
L’arbre vit, la forêt est une société d’arbres à travers laquelle ils dialoguent. Ecouter ce dialogue
“Ce qu’il en est du pin, apprends-le du pin
Ce qu’il en est du bambou, apprends-le du bambou”
poème japonais
La forêt a été jetée-là par l’homme. Il a sélectionné les espèces qui sont dès lors soumises à sa volonté. Le pin des Landes est exploité tout au long de sa vie, d’abord éliminé s’il est trop malingre, puis blessé par le gemmeur qui par sa blessure béante récolte son sang. Dès que la blessure commence à cicatriser, elle est à nouveau ravivée et laissée ainsi au soleil, souffrante. Les arbres sont trop serrés, ils ne peuvent respirer. Les plus beaux sont irrémédiablement coupés, autant dire assassinés. Par temps de canicule et de sécheresse, ils brûlent tristement car ils ne peuvent s'échapper. Que pense l’arbre de l’homme ?

L’épi ondule poétiquement sous le vent certes… mais de quelque côté qu’il se tourne il ne voit que d’autres épis autour de lui sur des surfaces infinies. Des voisins qu’il n’a pas choisis, tous identiques et sélectionnés comme lui. Aucune diversité, mais une prison dans laquelle il est enfermé, sans même un insecte qui viendrait le visiter, car il est couvert de pesticides. Tout cela pour être fauché un beau jour d’été puis broyé dans une machine. Et le cycle recommencera l’année prochaine. Que pense l’épi de blé de l’homme ?

Peut-être que la nature a des ressentiments contre l’humain ?
Le chant douloureux de la terre
Tout intérieur participe de la chair du monde
L’arbre intimé
L’eau s’infiltre dans la terre et nourrit les racines
Boire cette eau s’en imprégner
Sans la filtrer dans l’ivresse
Tel un élixir, une sorte de sang
 
Vibration si particulière du vert tendre des premières feuilles au printemps
La chair de l'arbre

 Après recueillement de la terre dans l’hiver

Les vagues dans la terre qui éclate
Ressentir la soif de la forêt sa souffrance en temps de sécheresse




L'être de l'arbre c'est le lieu
où il puise son énergie, sa sève
il ne peut s'en échapper
prisonnier
il ne fait qu'un avec la terre
l'être de l'arbre n'est pas le temps mais son Bashô
son lieu-là

La matière vit, la matière souffre, la matière s’exprime
Elle n’est pas inerte
Le volcan crache des flammes et vomit de la lave
La mer ne compte pas ses vagues et fait le dos rond sous la tempête
La terre inondée suffoque
L’arbre craque
L’herbe se courbe
Le chevreuil s’enfuit devant le chasseur
Tout n’est que mouvement de la même chair en haleine

La contemplation d’un paysage c’est la pensée de la matière, sentir cette origine, cette texture de la chair du monde jusque dans l’in-dit

La pensée sépare, une fois la pensée remontée à la conscience, la chair se déchire sous la pression de l'analyse, dans un modèle de la rationalité qui a façonné nos manières d’être au monde. En rester à la perception première dans la vacuité.
La terre porte mes pas
l’arbre me respire
il faut sortir la pensée du sujet isolé
et l’originer dans la chair du monde
c’est la chair qui pense, notre pensée est bien de cette chair
penser l'intérieur du monde dans la chair du monde elle-même
nous faisons partir de la pensée du monde
La terre la forêt l’arbre s’expriment
l’expression s’origine dans la chair du monde
ma pensée fait partie de l’expression du monde
il faut conceptualiser la pensée la conscience dans l’intrication du monde vivant
ce que l’étant exprime n’est pas issu d’un sujet hors-sol, mais d’un être-parmi, d’un être-au-monde, d’un être-dans la chair du monde.

La contemplation c’est le regard alchimique
Mais ce n’est pas une contemplation extérieure, elle est incarnée
penser par la terre, par l'arbre par la forêt
c’est à dire véritablement la matière pense en nous
attitude d’effacement de l'ego, d'écoute profonde, d’abolition des catégories artificielles
comme revenir à la matière de la pensée
C’est une mise en suspens, comme ce temps arrêté entre l’inspir et l’expir
s’irriguer du ruisseau de la forêt
être de la forêt avant, - ou sans - la penser
 

Intérieur du monde : ressenti de la chair du monde


À l’intime de la chair du monde
ëtre du monde, être-de, être-dans
La terre, l’air, l'eau le feu en soi
la terre en soi : l’ensemencement et les moissons
l’air, l’envol du héron sur l’étang
l’aridité du désert
le sable qui coule

Mais aussi l’air vif qui pénètre

A l’intérieur du cri est la douleur ou la jouissance
A l’intérieur de la parole est la pensée
A l’intérieur de l’autre est le désir
A l’intérieur du monde est l’écorce de l’arbre, et à l’intérieur de l’écorce est la sève
Emboîtements infinis, poupées emboîtées
A l’intérieur d’un intérieur il y a encore un autre intérieur plus profond

L’identité relève de l’intériorité tandis que l’altérité relève de l’extériorité
elles se complètent l’une l’autre et se contiennent réciproquement

Il y a une fenêtre entre l’intérieur et l’extérieur. Cette fenêtre met en contact deux mondes, un “théâtre et son double” (Antonin Artaud) :
“Tout vrai sentiment est en réalité intraduisible. L’exprimer c’est le trahir. Mais le traduire c’est le dissimuler. L’expression vraie cache ce qu’elle manifeste. Elle oppose l’esprit au vide réel de la nature, en créant par réaction une sorte de plein dans la pensée. Ou, si l’on préfère, par rapport à la manifestation-illusion de la nature, elle crée un vide dans la pensée. Tout sentiment puissant provoque en nous l’idée du vide. Et le langage clair qui empêche ce vide, empêche aussi la poésie d’apparaître dans la pensée. C’est pourquoi une image, une allégorie, une figure qui masque ce qu’elle voudrait révéler ont plus de signification pour l’esprit que les clartés apportées par les analyses de la parole”


Ontologie de l’intérieur


L’intérieur n’a pas d’existence propre, il est toujours intérieur de quelque chose, intérieur-de

En conséquence l’intériorité en tant que “caractère de ce qui est intérieur”, n’est que la conscience non pas de l’intérieur mais de la chose qui le contient, en l’occurrence le corps pour un individu.

L’intériorité du monde est la pensée partagée du monde comme totalité, le faire-partie-de la pulsation du monde.

L’intériorité est une sorte de réverbération du monde dans la conscience de soi.

L’intérieur du monde s’approche dans le murmure du silence à l’ombre du chêne, le regard accroché à la cime de l’arbre, là où il vibre dans le bleu du ciel.

L’intérieur est sur le chemin de l’extérieur, encore dans les broussailles

Il n’y a qu’un seul monde mais différentes manières d’être au monde.

Le regard prolonge l’intériorité, qui le densifie, en même temps qu’il la nourrit, l’augmente, l'intensifie.
Et le silence aussi
Le silence de l’écoute, de la présence attentive au monde.

Extériorité


L’extériorité est un existentialisme
l’être tourné vers l’extérieur offre ainsi son visage
la parole est parlante en dehors de soi
La parole s’extériorise dans l’ouvert

Il n’y a pas de mur qui séparerait l’intérieur et l’extérieur ni même de membrane, il y a juste la direction de l’être-là.
“L’intérieur est dans l’extérieur, l’extérieur est dans l’intérieur : les deux se complètent sans s’exclure” (Tchouang Tseu)
Puiser aux sources de son cœur” : intérieur et intériorité dans les arts chinois
Accorder l’intérieur et l’extérieur, source de soi et source du monde, dans leurs souffles respectifs. « La résonance des souffles exige nécessairement une connaissance innée, c’est pourquoi elle ne peut pas être saisie par l’habileté ni par le soin, ni être atteinte avec le temps. Elle est un accord tacite, une communion d’esprit, quelque chose qui survient sans que l’on sache comment. »

 

Les souffles se mêlent, invisibles éclats,
L'intérieur s'épanouit, l'extérieur bat.
Source de soi, écho du monde,
Deux rivières qui jamais ne grondent.

Dans le vent qui caresse, une danse insensée,
Où l'être s'abandonne, sans être deviné.
Ni le soin, ni le temps, ne l'atteignent,
Il surgit, tel une flamme qui enseigne.

Respire le ciel, goûte la terre,
Les souffles résonnent sans manière.
Une note née du néant,
Une harmonie, un rire géant.

L'accord tacite, là, dans le vide,
Une communion douce et rapide,
Sans pourquoi, sans comment, elle glisse,
Dans l'ombre d'un instant où l'être se hisse.

Le souffle du monde dans l'être reflète,
La source en soi, jamais incomplète.
Sans habileté, sans désir, ni soin,
La résonance vit, au-dedans et au loin.